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Art & Culture

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Il n’est pas de miel plus doux que celui de la connaissance.


Rosa Bonheur: l'âme animale

Publié le 2 Janvier 2023, 17:40pm

Catégories : #Histoire de l'Art

     

      A une époque qui nous invite à sauver la planète et à envisager les moyens de rapprocher l'Humain de la Nature, l’œuvre de Rosa Bonheur, parfois taxée de ringardise, moquée pour ses vaches,  n’est-elle justement pas d’une criante actualité? 

               Rosa Bonheur naît le 16 mars 1822, à Bordeaux, dans une famille d’artistes ; son père Raimond est alors un jeune peintre en mal de reconnaissance et sa mère, Sophie Maquis, est une musicienne accomplie, fille d’un notable bordelais.

Cerf dans un paysage d'automne

En 1833, Sophie Maquis décède à l’âge de trente-six ans. La famille est tellement démunie qu’elle est enterrée dans la fosse commune au cimetière de Montmartre. Cet événement est déterminant dans l’évolution du caractère et peut-être aussi dans la vocation de Rosa, qui n’a alors que onze ans,. Une fille ne pouvant pas à cette époque suivre de cours de peinture, Rosa se forme auprès de son père, qui sera son seul maître, et décide de n’être que peintre animalier. Tout d’abord peu enthousiasmé à l’idée que sa fille embrasse la même carrière que lui, Raimond Bonheur l’encourage finalement dans son travail en raison de son entêtement et de son talent. À quatorze ans, elle obtient sa carte de copiste du Louvre, elle expose au Salon à dix-neuf ans et elle a vingt-six ans quand l’État lui passe sa première commande.

Parmi les peintres animaliers français reconnus, on peut  citer Courbet, Brascassat, Decamps, Barye, Troyon, Frémiet. Quel fut donc le style de Rosa Bonheur ? Un certain archaïsme de naturaliste, pourrait-on dire, et une volonté de transparence, de netteté, telle une artiste qui pose un regard franc sur la Nature, sans recourir aux subterfuges picturaux habituels pour la sublimer puisque étant par elle-même déjà sublime.

Ainsi, Rosa Bonheur est la moins lyrique, la moins spectaculaire, la moins extravagante, la moins pittoresque, bref, elle est la plus objective et la plus réaliste de tous. A travers la peinture de Rosa, il s'agit aussi de nous décentrer de nous-mêmes et accepter que les animaux soient les premiers sujets d'un tableau.

Le retour du moulin, 1870
Le retour du moulin, 1870

En 1859, elle achètera le château de By, un rendez-vous de chasse qui date du XVe siècle, où elle vivra quarante années durant, faisant d’elle une peintre de la forêt de Fontainebleau et de sa faune importante. Rosa Bonheur se retire donc au sein de la Nature « dont le livre magnifique reste toujours ouvert devant nos yeux ». La peintre vit avec ses animaux, elle élève une ménagerie entière aussi importante que variée. Ce ne sont pas seulement des chiens, chats, moutons, chèvres, bovins, chevaux que nous retrouvons chez elle, mais aussi tout un pan de la faune sauvage existant alors au XIXème siècle : mouflons, singes, lions, oiseaux, sangliers, cerfs, perroquets, gazelles, isards…

Elle peint les animaux dans le calme de leur quotidien, tel qu’elle les y étudie, tel qu’elle y vit avec eux.

Berger des Pyrénées donnant du sel à ses moutons, 1864
Berger des Pyrénées donnant du sel à ses moutons, 1864

Le Labourage nivernais est une scène agricole à laquelle assista Rosa Bonheur lors de son séjour dans la Nièvre. La toile décrit le premier labour appelé sombrage que l’on effectue au début de l’automne. Ce travail consiste à ouvrir profondément la terre afin de l’aérer. Rosa Bonheur représente de manière très réaliste les travées creusées par la charrue des bœufs. L’insistance à représenter les mottes de terre et leur exceptionnel degré de vérité, proche du trompe l’œil, affiche un désir profond de l’artiste de faire parler la terre.

Le Labourage nivernais, par Rosa Bonheur
Le Labourage nivernais, par Rosa Bonheur

Avec 1 mètre 34 de long et 2 mètres 60 de large, l’impression générale est celle d’une force tranquille, de puissance sereine et d’effort soutenu dans un mouvement en avant. En ayant constamment à l’idée de « montrer l’art de tracer les sillons d’où sort le pain qui nourrit l’humanité toute entière. », Rosa Bonheur oppose aux villes, qu’elle pensait si étouffantes, la vitalité calme des campagnes.

détail du Le Labourage nivernais, par Rosa Bonheur
détail du Le Labourage nivernais, par Rosa Bonheur

De l’avis général des critiques du Salon de 1849, la majorité des œuvres exposées est de médiocre qualité et le Labourage nivernais compte parmi les rares tableaux à se distinguer. Recueillant l’admiration du plus grand nombre, il est qualifié de « chef-d’œuvre », « tout proche de la perfection », et apparaît comme « sans comparaison le meilleur ouvrage […] présenté au public ». A. Mazure, dans Etudes philosophiques sur la nature et l’art, écrit : «(…) nous avons de très habiles peintres de paysages (…) une femme surtout qui porte ce talent jusqu’au génie : Rosa Bonheur. »

détail du Le Labourage nivernais, par Rosa Bonheur
détail du Le Labourage nivernais, par Rosa Bonheur

Son père décède quelques temps avant l’ouverture du Salon ; Rosa Bonheur devient alors le seul soutien de la famille. Elle reprend aussi la direction de l’École Nationale de dessin de jeunes filles, où elle est un professeur sévère mais très apprécié. Quatre ans plus tard, un deuxième chef d’œuvre vient confirmer le talent de l’artiste, il s’agit du Marché aux chevaux.

Le Marché aux chevaux (1853)
Le Marché aux chevaux (1853)

La célébrité a sûrement joué un rôle dans la libération de la fougue créatrice de la peintre, s’attaquant à un thème moins habituel et plus risqué, elle l’animalière du monde rurale : « Depuis longtemps, je rêvais de faire quelque composition d’après un marché aux chevaux. ». Ainsi, à partir de 1851, elle commence son travail de « grand tableau ». La toile montre une galopade de chevaux présentés à d’éventuels acheteurs. Avec sa hauteur de 2,44 mètres et sa longueur de 5,06 mètres, nous sommes un niveau au-dessus du Labourage nivernais. Le tableau achevé est exposé au Salon de Paris en 1853.

détail du Marché aux chevaux (1853)
détail du Marché aux chevaux (1853)

Rosa Bonheur se sent plus proche du peuple des maquignons et des paysans qu’elle fréquente depuis sa plus tendre enfance, que de l’élite artistique. La presse ne tarit pas d’éloges suite à la présentation de la toile au Salon de 1853, qui était capable d’attirer une foule d’amateurs de par son sujet opportun, commun et populaire. Les applaudissements furent tels qu’ils changèrent profondément le fil de la carrière artistique de Rosa Bonheur, orientant aussi sa production future. Rosa Bonheur vendait ses toiles avant même de les réaliser, et ses œuvres abouties étaient dispersées à travers le monde.

Le Roi de la forêt, 1878
Le Roi de la forêt, 1878

Malgré tout, bien que le succès fût immédiat, la toile ne trouva pas tout de suite preneur et effectua un véritable périple à travers le monde. Il figure dans la seconde exposition annuelle de l’Ecole française à Londres, en 1855. Le Daily News du 19 juillet 1855, la célèbre comme « la plus grande peintre de scènes rurales de France, peut-être du monde ». A l’automne 1855, le Marché aux chevaux effectue un séjour à Glasgow, en Ecosse ; en février, il est à Liverpool, en avril, il arrive à Manchester, il fait ensuite escale à Birmingham, puis il est acheté par un collectionneur américain. C’est alors une tournée américaine qui commence. D’octobre 1857 au 2 janvier 1858, la toile est exposée à New York.

Chat sauvage

Le seul visage visible, aux cheveux grisonnants, bien au centre du tableau, n’est autre que celui de Rosa Bonheur, regardant le spectateur. C’est la façon qu’a choisi Rosa Bonheur d’affirmer son existence à la fois personnelle et picturale, unifiant l’artiste et la femme en un « moi » unique, sûr de son identité. Il est un clin d’oeil au spectateur, le renvoyant à une image de la féminité, tout à fait polémique au 19ème siècle. Sans anthropomorphisme ni sentimentalisme, ses peintures et dessins insufflent la vie aux animaux qu’elle observait inlassablement. Plus que jamais, au XXI siècle, regarder l’art de Rosa Bonheur nous permet une nouvelle rencontre avec le vivant, et nous aide à mieux habiter le monde.

Les Pyrénées, 1879
Les Pyrénées, 1879

 

 

 

Sources publiques utilisées pour la rédaction de cet article:

Rosa Bonheur, Artiste Animalière au XIXème Siècle, Léa Rebsamien, docteure vétérinaire, thèse soutenue en 2013 à la Faculté de Médecine de Créteil. https://theses.vet-alfort.fr/telecharger.php?id=1716

Rosa Bonheur, Dossier historique des Archives départementales de Seine-et-Marne.

Rosa Bonheur, publié à l’occasion de l’exposition « Rosa Bonheur (1822-1899) », Bordeaux, musée des Beaux-Arts, 18 mai – 18 septembre 2022. Paris, musée d’Orsay, 18 octobre 2022 – 15 janvier 2023.

 

 

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