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Art & Culture

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La connaissance est une aventure


Suivez les traces du chien endormi !

Publié par Horace sur 26 Avril 2024, 08:26am

Catégories : #Histoire de l'Art

 

Antoine : L’histoire de l’art, c’est le rêve pour les amoureux des énigmes. Comment as-tu remarqué celle-ci ?

Dali nu en contemplation
Dalí, nu, en contemplation

 

Hugues : En regardant cette toile de Salvador Dali au titre interminable: Dalí, nu, en contemplation devant cinq corps réguliers métamorphosés en corpuscules dans lesquels apparaît soudain la «Léda» de Léonard, chromosomatisée par le visage de Gala. J’ai trouvé que la présence de ce chien endormi, d’un poil blanc tacheté de noir, situé là au premier plan, était énigmatique.

A : C’est vrai qu’on se demande ce qu’il vient faire dans le tableau. Même s’il

s’intègre bien à la composition, de façon assez paradoxale, il est surprenant. Mais le plus surprenant, c’est quand tu as découvert que Dali avait peint le même chien endormi dans un autre tableau. 

 

 

 

H : Oui, le tableau intitulé Dali à six ans soulevant avec précaution la peau de l'eau pour observer un chien dormir à l'ombre de la mer. Quand un peintre peint plusieurs fois un même élément à l’identique

Dali à six ans
Dali à six ans

dans des œuvres différentes, cela devient un langage. Ce chien n’est plus l’animal dont nous avons l’habitude. Il devient un élément symbolique.

A : Tu veux dire que ce qu’il représente est plus important que ce que nous voyons.

 

 

H : C’est ça. Alors, d'après le Dictionnaire des Symboles, le

chien est lié à une trinité élémentaire terre, eau et lune, à la symbolique végétative, féminine, sexuelle et divinatoire, aussi bien dans le domaine inconscient que pour le subconscient. Son rôle principal est celui de psychopompe, « guide de l'homme durant la nuit de la mort après avoir été son compagnon durant le jour de la vie. »

A : C’est étonnant, je pensais qu’en iconographie le chien représentait quelque chose comme la fidélité.

H : Oui, aussi, tu as raison. Dans les églises chrétiennes on peut aussi le voir au pied des personnages représentés sur un cénotaphe (chez les femmes et chez les hommes). Dans ce cas il symbolise la loyauté, la fidélité.

A : Et c’est d’ailleurs cet indice qui t’a permis de remonter à l’origine de ce chien.

Scène Pastorale, de Nicolas Poussin
Scène Pastorale, de Nicolas Poussin

H : C’est vrai. J’ai fait un recherche internet pour trouver tous les chiens endormis représentés en peinture au cours de l’histoire de l’art. J’ai trouvé des chiens comme celui-ci peint par Nicolas Poussin dans sa Scène Pastorale. Là aussi, il y a l’idée de fidélité à son maître, le chien de berger étant aussi celui sur lequel le maître peut compter, donc une relation de loyauté à double sens. Mais comme tu le vois, ce n’est pas exactement le chien représenté par Dali.

A: Oui, le chien chez Dali, c’est plus… un genre de Pointer ?

H : La race est difficile à définir, et c’est justement ce qui m’a fait dire que Dali avait piqué cet élément à un tableau beaucoup plus ancien. Les races de chiens évoluent et cette évolution fait que les chiens n’ont plus la même morphologie aujourd’hui qu’il y a cinq cents ans. C’est peut-être une ancienne forme de Pointer mais sans certitude.

A : Alors, comment as-tu retrouvé la peinture originelle ? Grâce à Google Image qui permet une recherche inversée pour trouver la source d’une image ?

H : Hélas, je me suis vite rendu compte que Google Image est un moteur de recherche avec une base de données limité à ce que les gens ont déjà publié sur internet, mais il ne permet pas de fouiller dans les archives de l’histoire de l’art. Non, je suis passé par ma culture personnelle, c’est-à-dire les livres.

A : Avais-tu une méthode de recherche ?

H : Le point de départ chez Dali, il ne faut jamais l’oublier, c’est la Catalogne, sa région natale en Espagne. Aucun tableau de Dali ne représente une vue parisienne ou new yorkaise, le décor dalinien c’est celui du Cap Creus et de la Catalogne. J’ai commencé à chercher parmi les peintures anciennes que Dali aurait pu voir en Catalogne.

A : Le tableau de Dali, lui, date de 1954. Cette date correspond à quelle période chez le maître catalan ?

H : C’est en pleine période mystique. D’ailleurs, quand tu regardes la position de ce Dali nu, tu te rends compte qu’il s’agit d’une sorte d’adoration, avec un genou à terre, les bras ouverts comme s’il recevait un message divin.

A : Un indice supplémentaire pour toi ?

H : Bien plus que tu ne l’imagines. C’est même en cherchant parmi les œuvres religieuses de Catalogne que j’ai découvert l’origine de tout.

A : C’est donc ce Martyre de Saint Cucufat la clé de l’énigme ?

H : Oui, on retrouve le même chien endormi en bas à droite. C’est une peinture réalisée entre 1504 et 1507, a tempera sur bois qui se trouve aujourd’hui au musée d’Art de Catalogne. Elle a été peinte par Ayne Bru.

A : Ayne Bru ? ça ne sonne pas très catalan comme nom.

H : C’était un Allemand en vérité. Il faisait partie des peintres étrangers résidant à Barcelone au tout début de ce XVIe siècle. Ayne Bru – peut-être la transcription catalane de son vrai nom Hans Brün – est l’auteur du retable de l’église del Pino à Barcelone, et aussi de celui du monastère de San Cugat del Vallès, dont nous voyons à présent la clé de notre enquête. Cette Décapitation de Saint Cugat est le panneau central.

A : D’un réalisme extraordinaire ! Plus encore que dans les tableaux de Dali, le chien endormi me donne l’impression d’apporter un contre-poids à la scène qui se déroule, c’est comme s’il n’en avait rien à faire.

H : Tout à fait, c’est parce qu’il n’est que symbolique, souviens-toi. En fait, l'expressionnisme de la scène du martyr appartient à la tradition germanique, quant au groupe de personnages en habits contemporains qui accompagnent le drame sans y participer, c’est une particularité du Quattrocento italien. D'autres détails significatifs, tel que le caractère incisif du dessin, permettent de supposer que le peintre avait séjourné dans le nord de l'Italie avant de s'installer à Barcelone.

A : Ainsi, si je comprends bien, Salvador Dali a fait le lien avec une œuvre ancienne de quatre cents cinquante ans qui nous permet de voir dans son tableau de 1954 un souvenir d’une œuvre pieuse catalane représentant le martyre d’un Saint.

H : Oui, comme très souvent chez Dali, il y a une image double, une clé destinée à qui comprendra. C’est aussi une façon pour Dali de montrer dans quelle tradition picturale il souhaite inscrire son œuvre. Une manière pour lui de signifier aux connaisseurs qu’il est l’héritier d’une civilisation vieille de dix-neuf siècle avant lui.

A : Fantastique !
 

 

 

 

 

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