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Art & Culture

Art & Culture

Il n’est pas de miel plus doux que celui de la connaissance.


Jean Fouquet : rendre le passé vivant

Publié le 7 Avril 2024, 13:43pm

Catégories : #Histoire de l'Art

Jean Fouquet est-il né vers 1420 et mort avant 1480 ? On est mal renseigné à ce sujet. Du moins sait-on qu’il fit le voyage d’Italie. Ce séjour le mit en contact avec les artistes les plus novateurs de la Florence des Médicis et marqua profondément son style pictural, où se fondent en une synthèse harmonieuse le réalisme flamand et la rationalité latine. De retour en France aux alentours de 1450, il s’installe à Tours.

 

Jean Fouquet
Portrait dit du bouffon Gonella

Peintre officiel de Louis XI, Jean Fouquet est un artiste charnière à de nombreux titres : il fait entrer les styles flamand et italien au cœur de la peinture française, marque la transition entre Moyen Âge et Renaissance, et peint tout aussi bien dans les livres que sur des panneaux de bois. Si sa vie demeure mal connue, son œuvre prolifique – quoique difficile à attribuer précisément – témoigne d’une immense personnalité artistique. Scènes religieuses, portraits, peinture d’histoire, paysages urbains : peu de sujets échappent à son pinceau, où se combinent précision du détail, art de la géométrie et érudition.

Le « bon peintre du roi Louis le XIe Jehan Fouquet, natif de Tours » s’impose dès lors comme un artiste polyvalent et expérimentateur qui maîtrise les techniques les plus diverses : principalement peintre et illustrateur de manuscrits, il pratique l’émail peint, appris en Italie, le vitrail, et probablement la tapisserie. Expert en héraldique, il est aussi metteur en scène et organisateur de spectacles liés aux entrées royales.

Jean Fouquet
Le martyre de Sainte Apolline

C'est un temps nouveau que le temps de Fouquet. C'est le temps de Jeanne d'Arc chassant les Anglais et faisant sacrer Charles VII à Reims, le temps des grands et riches ducs de Bourgogne, le temps de François Villon. La France se réveille d'un siècle de guerres mais elle n'est plus tout à fait la même. Des hommes nouveaux apparaissent aux côtés des princes et des seigneurs : de grands bourgeois enrichis, souvent fraîchement anoblis, qui parviennent aux plus hautes fonctions du royaume.

Jean Fouquet
Charlemange à la bataille

Épris de luxe et d'éclat, ils passent aux artistes des commandes fastueuses. Ils participent ainsi à la mise en œuvre d'un art nouveau, dont Fouquet est en France le représentant, à la croisée des influences flamandes et italiennes, de la tradition encore vive du gothique international et de la modernité naissante. Avec Jean Fouquet, l'espace pictural se met à exister avec une intensité particulière, il prend corps et acquiert de la profondeur : par l'intégration, à la manière flamande, de détails réalistes, mais aussi par la construction, à la manière italienne, d'une perspective géométrique. La moindre miniature des Heures d'Étienne Chevalier ou des Grandes Chroniques de France devient un petit tableau.

Jean Fouquet
Philistins emportant l’Arche d’Alliance Bataille de Gelboé

La réussite de Fouquet ne tient pas aux événements qu’il représente, mais à la manière dont il les représente, à son style. Les propriétés formelles de ses peintures rehaussent en effet le sens des livres qu’il a illustrés. comme l'a souligné un autre historien d'art, Charles Sterling : "Placez un paysage de Fouquet auprès des plus beaux et des plus complets paysages néerlandais contemporains. Certes, il est d'un détail moins littéral et moins riche que chez un Hugo van der Goes ou un Memling ; … mais ce n'est pas le détail que vise la sensibilité de Fouquet... Grâce à leur construction d'ensemble, leur poésie est plus élevée que celle des paysages flamands ; mais elle est aussi plus concrète, plus accessible que le charme des contrées lunaires, comme entrevues dans le rêve, que Piero della Francesca ou Antonio Pollaiuolo évoquent dans les fonds de leurs peintures".

Jean Fouquet
La descente du Saint Esprit

Les visages se diversifient, les portraits cessent de se définir par la seule appartenance à un type pour laisser émerger en même temps des caractères particuliers. Les corps aussi se mettent à exister par un art monumental du drapé, une maîtrise de l'ombre et de la lumière qui donne à son modelé une force particulière, un sens de la vivacité et de la vérité du geste et du mouvement. Le monde y est vivant comme un spectacle, comme une scène de théâtre où se jouerait le drame de l'histoire humaine.

Jean Fouquet
Saint Jacques le Majeur

Le Réel semble en train de naître. Peu à peu, peintures de livres et peintures de tableaux accentuent leurs ressemblances, et ce sont souvent les mêmes artistes qui pratiquent dessins, peintures murales ou peintures sur chevalet et enluminures. Dans ce passage de l'enluminure à la peinture, Fouquet joue un rôle décisif : sa manière d'apposer les couleurs par petites touches légères juxtaposées, et non plus par superposition de couches de peinture, fait de ses paysages parisiens de véritables petits tableaux impressionnistes, son art du récit transforme chaque miniature en une histoire sans fin.

Jean Fouquet
Entretien entre saint Gontran et Childebert ou la Trahison de Mummol

Les enluminures à structure parfois très complexe sont unifiées par le jeu de la couleur. Elles sont construites à partir de quatre couleurs principales fournies par les vêtements ou les éléments décoratifs (lettrines, blasons) : azur profond, garance foncé un peu assourdi, vert plus ou moins soutenu – souvent relayé par l'herbe quand il ne figure pas dans les étoffes – et blanc si caractéristique de l'artiste. Les couleurs sont si bien intégrées dans le milieu aérien qu'on oublie que la composition est fondée sur leur nombre limité et sur le rythme de leur retour ; l'importance du paysage qui enveloppe les scènes voile ici ce parti très ferme, qui apparaîtra plus évidemment ailleurs.

Jean Fouquet
Le supplice des Amauriciens

Avant tout, les peintures de Fouquet rendent le passé vivant, tangible et agréable à voir. Ces qualités visuelles étaient importantes parce que les mécènes de Fouquet vivaient dans un monde où le paraître était riche de sens ; ils étaient formés à apprécier la beauté visuelle des événements historiques. Ce sens aigu du paraître déclencha une soif d’information visuelle que les chroniqueurs contemporains s’efforcèrent d’assouvir. Relatant les entrées royales, notamment, Chartier et Le Bouvier dressent de véritables inventaires, indiquant qui était présent, dans quel ordre les participants chevauchaient et comment chacun était vêtu. Mais les mots étaient incapables de rendre de tels spectacles ; leur prolixité même trahit l’échec des descriptions verbales.

Jean Fouquet
Le lit de justice

En revanche, les tableaux de Fouquet répondaient à la demande d’information visuelle que les textes ne comblaient, au mieux, qu’imparfaitement. Retraçant le couronnement de Philippe Auguste, les Grandes Chroniques de France se contentent de donner la liste des grands personnages présents – en particulier le roi d’Angleterre Henri II, qui tenait la couronne. Comme le texte, la peinture de Fouquet identifie ceux qui participent à la cérémonie : la robe d’Henri II, par exemple, porte les léopards héraldiques du duc de Normandie.

Jean Fouquet
Charles V le Sage et l’empereur Charles IV

Mais la miniature rend aussi la cérémonie impressionnante visuellement. De même, la manière dont Fouquet peint Charles V accueillant l’empereur Charles IV rend mieux qu’aucun texte l’attrait visuel de la diplomatie médiévale. Montés sur des chevaux qui portent les armes de la France, les deux souverains se détachent en silhouette sur les murs de Paris ; légèrement inclinés l’un vers l’autre, ils se serrent la main. Chacun est accompagné d’une escorte princière pareillement costumée et qui équilibre la composition à gauche comme à droite : vraiment une « moult noble chose a veoir ». Attentif aux besoins visuels de son public, Fouquet recourt même à une minutieuse chorégraphie pour représenter des batailles rangées, comme celle de l’Histoire ancienne entre Romains et Carthaginois.

Jean Fouquet
Pompée dans le Temple de Jérusalem

Au XVe siècle, la distinction entre profane et sacré n’existe pas. Fouquet enlumine des manuscrits historiques pour la même clientèle de cour qui lui commande des portraits et des manuscrits de dévotion : le Boccace est enluminé pour Laurens Girard, contrôleur des finances et gendre d’Étienne Chevalier ; le Flavius Josèphe, pour Jacques d’Armagnac, duc de Nemours ; les Grandes Chroniques de France, probablement pour Charles VII.

Jean Fouquet
Job sur le fumier

Maître d'un vaste atelier, Jean Fouquet est célébré de son vivant et marque aussi bien l’art de ses contemporains que celui des générations futures. À la fin du XVe siècle, ses fils, collaborateurs et suiveurs diffusent son style en France et en Europe.

 

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