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Art & Culture

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Il n’est pas de miel plus doux que celui de la connaissance.


La peur des fantômes

Publié par Hugues Folloppe sur 16 Février 2023, 21:55pm

Catégories : #Philosophie

Ceci est une histoire vraie :

 

Un jour, le château de *** fut en travaux.

Il fallait bien rénover la pierre de tuffeau qui s’effritait de tous les côtés! 

Alors, en raison des échafaudages colossaux posés de parts et d’autres des façades du château, on débrancha les systèmes de sécurité. Plus d’alarme pour prévenir des cambrioleurs. 

Le jour, le château étant visités par la foule des touristes et surveillé par les gars de la sécurité, le manque d’alarme ne changeait rien. Mais, pour ce qui était de la nuit,  la Direction dut faire appel à un vigile pour garder le château. Comme on l'imagine, le vigile arrivait  peu avant le départ du personnel de jour, il passait la nuit seul dans la vieille bâtisse, et il ressortait tôt le lendemain matin avec l’arrivée de l’équipe de nettoyage. Enfin c’est ainsi que tout aurait dû se passer, car dès la venue de ce gardien de nuit, quelque chose retint mon attention : le type avait une certaine carrure physique, un costaud dirons-nous, mais il paraissait légèrement tendu.

A l’entendre, c’était le type qui avait tout vu tout fait, et qui n’avait peur de rien. On pouvait l'imaginer remonter ses manches pour montrer ses tatouages de guerre. Pourtant, pour sa première prise de poste, il traînait autant que possible avec nous autres du personnel de jour, et il se lança même dans une anecdote quelque peu surprenante pour un agent de sécurité: une nuit qu'il conduisait dans la campagne, il avait eu une frousse bleue en voyant « la Dame Blanche » assise à côté de lui dans sa voiture. Rien que ça! Tiens, drôle de type, m’étais-je dit en rentrant chez moi. Et l’histoire aurait pu se terminer là. C’était sans compter le moment où, le lendemain matin, je le recroisai alors qu’il venait de terminer son travail nocturne et s’apprêtait à rentrer chez lui. Je lui demandai si la nuit s’était bien passée, car il me paraissait un peu tirer la tronche. « Ah ! J’y mettrai plus les pieds dans votre château ! » me dit-il d’emblée. Quelle pouvait donc en être la raison ? « Y’a des fantômes ! », lança-t-il suffisamment fort pour être entendu par toutes les autres collègues du ménage et de la billetterie. Des fantômes ? Oui, il en avait vu ! Comme chantait Brassens :

« C'était tremblant, c'était troublant

C'était vêtu d'un drap tout blanc

Ça présentait tous les symptômes

Tous les dehors de la vision

Les faux airs de l'apparition

En un mot, c'était un fantôme. »

Preuve en était qu’il avait même pris une photo avec son téléphone portable. Il nous montra la photo : quel effroi ! Les caissières de la billetterie y voyaient là l’apparition de l’ancienne propriétaire des lieux, la reine Machin-Chose, en personne à la fenêtre ! Une revenante qui prenait la pose pour la photo ! Je regardai à mon tour… et clignai des yeux. Ce que je comprenais de l’image prise de nuit était ceci : une des fenêtres de la façade principale du château, celle sans échafaudage, et un reflet dans la vitre de cette fenêtre.

Peut-être un reflet de la Lune dans le verre, mais de là affirmer qu’on pouvait y voir une présence humaine, c’était tiré par les cheveux. Quelle qu’en fût l’interprétation, en quelques minutes le bonhomme de gardien, de par son teint blafard et son regard devenu fou, avait réussi à transmettre sa peur à tout le personnel qui, à son tour, renchérissait avec des anecdotes de présences spectrales dans les salles vides, et des bruits étranges dans les couloirs. D’un seul coup, toutes celles et ceux qui avaient travaillé un jour au château avait quelque chose à dire qui donnait des frissons dans le dos à qui voulait l’entendre.

Pourtant, voilà qui était bien étonnant. J’avais moi-même fait de nombreuses fois la fermeture des salles du château, le soir en hiver, quand il n’y a plus âme qui vive. J’étais descendu dans les cuisines humides ou même monté dans les combles tous poussiéreux et délabrés. Qu’avais-je pu entendre ? Une vieille charpente qui craque sous l’effet des variations de température ; le froid ruissèlement de la rivière toute proche. Je dirais même que le silence du château à ces heures désertées m’avait souvent paru d’un calme apaisant… pour ne pas dire mortel.

            Mais alors ? Qu’arrivait-il donc à notre grand costaud de gardien ? Rien de bien sorcier : il avait peur. Un malabar qui a peur des fantômes, voilà qui donne envie de pouffer de rire. Pourtant, au lieu de me moquer, je me demandais comment l'aider à se ressaisir. Son attitude commençait aussi à lui attirer des regards dubitatifs chez certains, et je sentais que le pauvre bougre n'allait pas rester bien longtemps veilleur de nuit s'il avait la frousse. 

            La peur des fantômes, tout le monde ne la connaît pas. Cela dépend si l’on a été bercé depuis sa tendre enfance dans un contexte de croyances de vie après la mort, de résurrection, de superstitions en tous genres (ne pas casser un miroir sinon c’est sept ans de malheur ; ne pas ouvrir un parapluie dans un intérieur, sinon c’est encore du malheur, etc.), d’apparitions possibles comme celui de la Dame Blanche au bord des routes de campagne, le spectre d’Henry VIII à Hampton Court, j’en passe et des meilleures, mais aussi aux films à succès comme Le Sixième Sens, SOS fantômes, Poltergeist, sans parler des d’émissions consacrées au surnaturel avec leur lot de bruits sourds dans les chambres, d’apparitions dans les miroirs, de traces de sangs sur les murs, d’interviews nocturnes, il faut avouer que n’importe quel individu à l’esprit sain peut légitimement ressentir une sensation de malaise à l’idée de se retrouver seul dans l’obscurité de sa cave à vins.

Montaigne n’avait pas des mots très tendres à l’égard de ceux qui sont victimes de ces maux-là :

« Il est vraisemblable que le principal crédit des miracles, des visions, des enchantements et de tels effets extraordinaires, vienne de la puissance de l’imagination agissant principalement contre les âmes du vulgaire, plus molles. On leur a si fort saisi la créance qu’ils pensent voir ce qu’ils ne voient pas. »

            C’est bien là le problème : en général, on voit ce qu’on nous dit qu’il faut voir, et rarement ce que l’on comprend vraiment. Mais quand la raison déraisonne, vous pouvez expliquer ce que vous voulez, il n’y a rien à faire.

« De vrai, disait encore le philosophe bordelais, j’ai vu beaucoup de gens devenus insensés de peur (…) Je laisse à part le vulgaire à qui elle représente tantôt les bisaïeux sortis du tombeau, enveloppés en leur suaire, tantôt des loups-garous, des lutins et des chimères ».

            Quelle est la cause de tous ces maux de l’esprit ? Des simulacres comme disait le philosophe Lucrèce, c'est-à-dire l’impression que vous vous faites des choses et non pas ce que ces choses sont vraiment. Les yeux en amande de votre chat qui ronronne, à la nuit tombée, vous donnent la désagréable impression d’être observé par votre lointain bisaïeul. Pourtant, cette chimère peut être chassée par la philosophie, c'est à dire la raison. Vérité fondamentale : les morts ne peuvent pas revivre. 

"Que tout a des effets que simulacres l’on baptise. (…)
C’est par eux que d’effroi le jour notre âme est prise,
Ou la nuit lorsque, en songe, elle croise l’ombre des morts
Dans l’étrange appareil des orphelins du jour,
Et ce sont ceux qui nous font, avec des mines hagardes, Sauter du lit !"

Dès que l'on cesse de croire aux fantômes, les fantômes cessent d'exister. Cette peur des fantômes, Lucrèce le dit, l’esprit scientifique permet d’y mettre un terme:

"Oui, comme l’enfant s’effraie aux lieux privés de lumières,
Et tremble à tout, nous redoutons, quand même le jour luit,
A de certains moments, d’aussi peu terribles chimères
Que ce qu’un enfant craint de voir apparaître la nuit !
Il faut pour chasser cette peur qui notre âme ternit,
Non les rais du jour ni ses traits aux clartés radieuses,
Mais les lois de la Nature, et leurs beautés merveilleuses."

De quelles lois de la Nature s’agit-il ?

Pour l'épicurien, la réponse va de soi : celles de l’atome.

L’univers tout entier se compose d’atomes, et nous aussi. Il n'y a que matière, et rien ne se meut en dehors de la matière. Lorsque nous mourons, les atomes qui nous constituent se défont les uns des autres et ne rien de nous ne peut plus nous faire vivre. Notre esprit aussi est une matière neuronale composée d’atomes, il ne pourra donc pas revenir hanter le monde des vivants. 

Alors, pour ceux qui sont pris par la peur et pour qui « Si nette est même l’image en ce cas qu’on croit de voir / Des défunts que la terre et la mort on en leur pouvoir ! », c’est sans doute en s’éloignant le plus possibles des histoires à dormir debout sur ce que les autres imaginent avoir ressenti ou vu ou entendu que le calme intérieur revient. La conscientisation des lois de la Nature est en réalité le seul remède à la déraison. Sans la philosophie matérialiste des épicuriens notre esprit déraisonne comme une mécanique sans freins. 

            Les propos de Lucrèce, écrits il y a plus de deux milles ans maintenant, sont d’ailleurs largement confirmés par la science actuelle. Le physicien britannique Brian Cox, membre du groupe Physique des Particules de l'Université de Manchester, affirme que si les fantômes existaient, le grand collisionneur de hadrons (LHC) du Centre européen de recherche nucléaire (CERN) les aurait observés, puisque cet instrument détecte toutes les différentes signatures énergétiques. Or, puisqu’il ne peut y avoir reformation de nos atomes en un second nous-mêmes après notre mort, le LHC n’a rien observé. Navré, les fantômes n'existent que dans notre imagination.

Alors, tout compte fait, au lieu de chercher à se faire peur sur le dos des morts, peut-être la meilleure chose à faire est-elle encore de laisser tranquille la mémoire des défunts qui reposent en paix et de nous concentrer sur ce qu'il nous reste de jours à vivre.

 

 

 

 

 

 

 

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