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Art & Culture

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Il n’est pas de miel plus doux que celui de la connaissance.


Friedrich Nietzsche, philosophe du XXIe siècle.

Publié par Hugues Folloppe sur 4 Août 2023, 19:40pm

Catégories : #woke, #Philosophie

 

« Ce que je raconte est l’histoire des deux siècles prochains. Je décris ce qui vient, ce qui ne peut plus venir d’une autre manière : l’avènement du nihilisme. »

 

Salvador Dali, "Enfant géopolitique observant la naissance de l’homme nouveau"
Salvador Dali, "Enfant géopolitique observant la naissance de l’homme nouveau"

 

Le philosophe Friedrich Nietzche est mort en 1900. Et pourtant, sa La Généalogie de la Morale (1887) semble avoir été écrite pour notre début de XXIe siècle.

En effet, on y découvre le journal de notre époque ; il suffit pour cela de faire les analogies qui permettent une compréhension efficace de la pensée du philosophe. Par exemple ceci : « Qu’est-ce que le nihilisme aujourd’hui, sinon cela ?... Nous fatigués de l’homme…. » écrivait-il. Pouvait-on donner une définition plus juste du mouvement Woke qui domine aujourd’hui ?

Nietzsche est parvenu à décrire ce qui constitue la cause du déclin occidental : « Je compris la morale de la pitié, qui ne cessait de gagner du terrain, qui s’emparait même des philosophes et les rendait malades, comme le symptôme le plus inquiétant de notre culture européenne devenue inquiétante, comme son détour vers un nouveau bouddhisme ? vers un bouddhisme d’Européens ? vers le nihilisme ?...”

Quoi de plus représentatif de cette tendance que le mouvement Woke, qui vise l’annulation de la majorité démocratique par l’instauration d’un totalitarisme minoritaire ? Les porte-paroles Woke célèbrent la victimisation congénitale. Il s’agit pour eux d’aimer - voire de glorifier - le mal-être ; et les réseaux sociaux font office de porte-voix :

 « On dirige ici un regard vert de fiel et sournois contre la réussite physiologique elle-même, particulièrement contre ce qui en est l’expression, la beauté, la joie : alors que le ratage, l’étiolement, la douleur, l’accident, le laid, le dommage volontaire, la dépersonnalisation, l’autoflagellation, le sacrifice de soi suscitent un sentiment de satisfaction et sont recherchés. »

Les valeurs civilisationnelles se voient ainsi renversées : les défaillances de chacun sont célébrées comme plus essentielles que les réussites. Les souffreteux sont admirés plus que les endurants : « Tout cela est suprêmement paradoxal : nous nous trouvons ici face à une discordance qui se veut discordante, qui jouit d’elle-même à travers cette souffrance. »

Jouissance dans la souffrance, compassion pour les faibles, on retrouve ici les bases du christianisme. En effet, le Pr Braunstein a montré comment le mouvement Woke consisterait en l’émergence d’une religion nouvelle1. Ce mouvement emprunterait les caractéristiques de la religion chrétienne, protestante plus particulièrement, et proche des évangéliques dans sa dernière acceptation.

Nietzsche va plus loin. Il prévient du danger que représentera toute cette petite foule de contre-nature incarnée quand elle se fédérera ; et nous y sommes à présent. Sur quoi se déchaîne-t-elle ? Sur la réalité biologique, sur les faits historiques, « sur ce que l’on ressent avec la plus souveraine des certitudes comme vrai, comme réel : elle cherchera l’erreur précisément là où le véritable instinct de vie place la vérité de la manière la plus inconditionnée. »

Les Woke professent à qui veut l’entendre que les femmes et les hommes biologiques n’existent pas, qu’ils n’ont pas été définis par leurs chromosomes dès la conception dans l’embryon. C’est bien ce qu’avait envisagé Nietzsche quand il écrivit que cette foule « ravalera par exemple, comme le firent les ascètes de la philosophie (…) la corporéité au rang d’illusion, de même la couleur, la multiplicité, toute l’opposition conceptuelle du « sujet » (…) – erreurs, rien qu’erreurs ! – quel triomphe ! – et non plus sur les seuls sens, sur la seule évidence sensible, une espèce de triomphe bien plus élevée, une violence et une cruauté exercées sur la raison. »

La raison, tel est le mot autour duquel tout se joue à présent ; il y a celles et ceux qui croient sans voir, et ceux qui constatent sans croire. Les Woke ne prônent pas la raison, mais la pitié religieuse, comme le Nouveau Testament enjoint à le faire envers les plus faibles et les plus malheureux : « Ils monopolisent à présent la vertu, ni plus ni moins, ces faibles et ces malades incurables, cela ne fait aucun doute : ‘Nous sommes les bons, les justes’, c’est ainsi qu’ils parlent (…). Ils évoluent parmi nous en reproches incarnés, en avertissements, qui nous sont adressés – comme si la santé, la réussite, la force, l’orgueil, le sentiment de puissance était déjà en eux-mêmes des choses chargées de vice qu’il faudrait un jour expier, expier amèrement ».

 C’est pourquoi on les désigne sous les termes de « flocons de neige » ou d’« agneaux », tant ils semblent tombés d’on-ne-sait-quel monde virtuel. Tout juste sortis du cocon, les voilà déjà qui gémissent d’un passé qu’ils n’ont pas connu et d’un futur pour lequel ils n’ont rien tenté. Tandis qu’« un homme fort digère ses expériences vécues (ses hauts faits et ses méfaits compris) comme il digère ses repas, même lorsqu’il lui faut avaler des morceaux coriaces », les Wokistes s’annoncent perdant avant même d’avoir essayé. D’où vient alors leur rapide succès ?

C’est que ces petits agneaux ont eu la sainte idée de se revendiquer victimes. Victimes de qui ? De tous les autres ! Victimes de quoi ? De la société, cette société qui doit abjurer ses fautes, faire son mea culpa d’avoir été puissante et sans concession par le passé. Ils ont pour cela « besoin pour cela d’un affect, d’un affect aussi sauvage que possible et, pour l’exciter, du premier prétexte venu : ‘Il faut bien que ce soit la faute de quelqu’un si je me sens mal’ - cette manière de tirer des conclusions est propre à tous les êtres maladifs ».     

Pour parvenir à leur but, ils se tournent vers leur généalogie, vers leur génétique, « ils rouvrent les blessures les plus anciennes, ils se tuent à faire saigner des cicatrices refermées depuis bien longtemps, ils transforment en auteur de méfaits ami, femme, enfant, et tous ceux encore qui se trouvent près d’eux. »

  Bien entendu, les plus visés par la colère Woke ne sont autre que les plus stables : “Que les agneaux soient pénétrés de rancune envers les grands oiseaux de proie, voilà qui n’a rien de surprenant : à ceci près que ce n’est pas une raison pour faire grief aux grands oiseaux de proie de s’emparer de petits agneaux.”

            Comme tous les agneaux, il leur faut des bergers pour les mener, ou les « éveiller » comme ils disent. Ces prêtres ascétiques prennent des figures variées : célébrités du cinéma, de la littérature,  scientifiques en mal de reconnaissance, coachs personnels, athlètes, bref, « le prêtre ascétique est le souhait incarné d’un être-autrement, d’un être-ailleurs (…) mais la puissance de son souhait constitue justement le lien qui l’enchaîne ici (…) c’est justement du fait de cette puissance qu’il rattache fermement à l’existence tout le troupeau des ratés, des aigris, des déshérités, des accidentés, de tous les genres d’êtres qui souffrent d’eux-mêmes en les précédant instinctivement à titre de berger. »

Ainsi, le danger ne vient pas de ceux en pleine santé psychologique mais au contraire, nous dit Nietzsche, « ce sont les maladifs qui constituent le grand danger pour l’homme, non pas les méchants, non pas « les bêtes de proie ». Ceux qui, dès le départ s’estiment floués biologiquement, en raison de leur épiderme ou de leur chromosome, « ce sont eux, ce sont les plus faibles qui minent le plus la vie parmi les hommes, qui empoisonnent et remettent en cause de la manière la plus dangereuse notre confiance dans la vie, dans l’homme, en nous-mêmes.”

Avec les Woke, il ne s’agit plus de se battre pour réussir, mais de s’affirmer faible pour obtenir une légitimité. Là-dessus, Nietzsche tire un constat implacable : “C’est dans le rapetissement et l’égalisation de l’homme européen que réside notre pire danger, car ce spectacle fatigue… Aujourd’hui, nous ne voyons rien qui veuille devenir plus grand, nous pressentons que l’on ne cesse de décliner, de décliner pour devenir plus inconsistant, plus gentil, plus prudent, plus à son aise, plus médiocre, plus indifférent, plus chinois, plus chrétien – l’homme, cela ne fait aucun doute, ne cesse de devenir « meilleur »… c’est justement en cela que réside la fatalité de l’Europe.

Les Woke existent simplement parce qu’il y a une brèche dans notre propre confiance. Une civilisation forte ne remet que rarement en cause ses méthodes de réussite, c’est le propre de la volonté de puissance. Chaque nation, chaque pays, chaque royaume vise l’expansion de sa propre puissance. Est-ce injuste à nos yeux ? « Que les sociétés soient injustes ne les empêche pas forcément d’être stables. »2. Les Occidentaux ont du mal à le comprendre, car ils sont depuis longtemps englués dans la moraline. L’Occident a étouffé sa propre force pour s’accuser à son tour. Qu’on y réfléchisse à deux fois : l’Egypte aurait-elle eu des pyramides sans force et injustice ? La Rome antique aurait-elle eu un empire sans force et injustice ? Les Etats-Unis d’Amérique auraient-ils été fondés sans force et injustice ?

Hélas ! parfois un peuple – ô Grèce,
Tu l’as vu ! Rome, tu le sais ! –
Sent une honteuse paresse
D’être grand, et dit : C’est assez !
Assez d’Ajax ! Assez d’Achilles,
De Brutus, de Solons, d’Eschyles !
Assez de héros au front pur !
Assez de ces arches de gloire
Qui font de toute notre histoire
Un pont de géants dans l’azur ! 3
 

Le Bien de l’un est souvent le Mal de l’autre et inversement.  Voyez : les scientifiques estiment probable l’hypothèse selon laquelle l’homme de Neandertal aurait été éliminé de la surface de la Terre par Homo Sapiens. Question : est-ce un bien ou est-ce un mal ? Les vainqueurs furent nos propres ancêtres, je vous le rappelle ! Quant à savoir pourquoi Homo Sapiens aurait éliminé les autres, sur ce point, Nietzsche se différencie de Darwin, le père de la théorie de l’évolution.      

            Charles Darwin estimait que l’évolution était le fruit d’une lutte pour la survie de l’espèce et que seuls les plus adaptés l’emportaient. Si Nietzche corrobore bien la thèse de l’évolution des espèces, il diffère cependant sur la raison invoquée par Darwin, et se fait ainsi proche du darwinisme social introduit par Herbert Spencer. L’argument de Nietzsche est que les plus adaptés de l’espèce humaine sont dans la majorité des cas les plus grossiers d’entre nous, les plus rusés, les plus violents, les plus méchants pour dans le langage des enfants ; tandis que les esprits fins, les intelligences subtiles sont facilement évincées par les premiers dans la lutte pour la survie. Ainsi, Nietzsche dit que les faits montrent partout que la survie de l’espèce ne dépend pas d’une adaptation des meilleurs dans le sens de Bien, de Bon ou de Juste, mais plutôt dans le sens des plus puissants à s’imposer. Si nous sommes en vie, c'est parce que nous avons vaincu, nous avons eu l'ascendant sur plus faible que nous.

Toute morale de la pitié se forme donc sur des principes qui s’opposent à la l’évolution naturelle de l’espèce humaine. L’idéologie Woke, en exigeant « de la vigueur qu’elle ne s’extériorise pas sous forme de vigueur, qu’elle ne soit pas un vouloir-conquérir, un vouloir-subjuguer, un vouloir-se-rendre-maître, une soif d’ennemis, de résistances et de triomphes, c’est un non-sens exactement au même titre qu’exiger de la faiblesse qu’elle s’extériorise comme vigueur. », et s’oppose ainsi à ce qui constitue l’essence même de notre espèce.

 

 

Références:

(Toutes les citations non référencées sont tirées de la Généalogie de la Morale de Friedrich Nietzsche).

  1. (même si le puritanisme, auquel le Pr Braunstein relie le wokisme, n’a jamais été une religion en soi mais bien plutôt un courant religieux issu du protestantisme – il n’existe en effet pas de temple puritain).

 

  1. Histoire de la Rome Antique, Lucien Jerphagnon.

 

  1. Toute la Lyre, Victor Hugo.

 

 

 

 

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