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Art & Culture

Art & Culture

Il n’est pas de miel plus doux que celui de la connaissance.


André Franquin: l'imagination débordante

Publié par Hugues Folloppe sur 6 Mai 2023, 11:53am

Catégories : #BD

La bande dessinée est-elle un art ou un simple divertissement? Laissons la réponse au maître :

Franquin:

"Je ne dirais pas que la bande dessinée est un art. Si l'on me posait la question, je répondrais: la bande dessinée est un art aux mains de certains, mais pas dans les pattes des autres!"

 

Spirou & Fantasio, Gaston, le Marsupilami, Modeste & Pompon, Les Idées Noires, Cauchemarrant, le Trombone Illustré, Les Tifous, les petits monstres, tout cela fut signé André Franquin (1924-1997).

En reprenant la série Spirou en 1948, Franquin la développe et lui donne de l'envergure, invente sans cesse de nouveaux personnages. Malgré tout, il se sent rapidement à l'étroit avec Spirou.  On peut comprendre que le côté "héros" exemplaire - et toujours un peu creux par la même occasion - de Spirou n'ait pas dû être une figure facile à manier.

Dessin de Franquin

Déjà l'armure craque en 1968 avec l'album Bravo les Brothers: Franquin y fait ce que l'on nomme un cross-over; les personnages d'une série côtoient ceux d'une autre série. Cet album de Spirou est en fait un long album de Gaston, et il est tout bonnement excellent: les gags s'enchaînent sur un rythme effréné, le scénario est impeccable. Avec Bravo les Brothers aurait pu naître un concept encore inédit dans le monde Franquin, de l'humour sur la longue durée, comme du théâtre dessiné.

La dernière participation de l'auteur à la série Spirou, avec Panade à Champignac (1969), débute dans les mêmes circonstances, ce qui trahit une très nette envie d'aller voir ailleurs et d'arrêter le trop sérieux Spirou. 

Franquin:

"J'ai l'impression que la bande dessinée s'est tellement prise au sérieux, s'est voulue tellement esthétique et profonde, qu'elle en a oublié le goût du rire! Bon, quand elle est bien fait, c'est très beau, mais ça ne me passionne pas. Mais quand elle n'est même pas à la hauteur, hou là!...."

 

Tout change avec Gaston (1960). Gaston est le anti-héros par excellence, sorte de mollasson à moitié endormi qui traîne de la savate en marchant,  qui fume, qui a les idées toujours embrouillées dans la tête; un brave garçon qui n'est pas fait pour l'emploi qu'il occupe. Bref, un contre-exemple total pour de nombreux jeunes lecteurs, et c'est tant mieux. Alors que l'individu se doit de porter le masque que la société lui impose, Gaston reste lui-même, un peu comme le personnage l'oncle chez Jacques Tati.

Gaston, c'est l'opposé du slogan "travailler plus pour gagner plus". Son slogan à lui, ce serait plutôt "travailler moins pour vivre plus" ou encore "trouver l'astuce pour se la couler douce". Voilà qui est amusant: Gaston ne veut pas travailler. Cet état d'esprit anarchiste qui détonne dans le monde de la bande dessinée. Il y a  un côté Pieds Nickelés chez Gaston: tracer sa route en se débrouillant avec ses possibilités, grâce au système D.

Gaston appartient à la graine des rêveurs, des poètes qui vont en se frappant le cœur, des touches-à-tous sympathiques qui refont le monde entre potes, de ceux pour qui trois-fois rien est déjà l'occasion de s'évader du quotidien. En comprend mieux pourquoi Franquin ne situe pas son héros dans le cadre d'un château de Moulinsart ou de Champignac. L'anti-héros n'a que faire de l'avoir matériel, il mise sur l'être humain. Le château de Gaston, c'est le hamac, c'est le petit terrier improvisé dans lequel il peut enfin pioncer en paix, entouré de ses animaux (sa mouette, son chat, sa souris). Il est l'invitation à ne pas faire comme les autres, le sale gosse malin qui n'en fait qu'à sa tête. 

La liberté de ton de la série Gaston permet à Franquin de donner libre cours à son coup de crayon. A partir du moment où il assure également l'encrage de ses planches, le génie du trait s'accentue d'années en années, s'éloignant toujours plus des styles conventionnels. La ligne de dessin de Franquin fut celle d'un poète. Tout y est formidablement dessiné dans les moindres détails avec ce style qui fait qu'une roue de vélo peut-être à la fois ronde et tordue, qu'une voiture peut-être à la rigide et déglinguée, qu'un pull-over peut-être à la fois chaud et douillet. Les lampes, tables, chaises, portes, chaussures, couloirs, tout est franquinisé et acquiert un caractère propre.

Franquin: "Eh bien, justement, comme je le disais, je trouve qu'il y a trop d'esthétisme dans l'air. La "ligne claire", dont on parle actuellement, cela peut être beau, mais n'apporte rien de neuf, et ça a tendance à se refermer un peu sur soi-même".

A ce trait de crayon génial s'ajoute une imagination débordante. Oui, car il faut peut-être plus d'inventivité pour faire succès avec une série qui se déroule presque exclusivement à l'intérieur d'une rédaction qu'avec une série de science-fiction.

Comment aurait évolué la série Gaston si, au milieu des années 80, Franquin n'avait pas été gravement touché par une colossale dépression qui l'a foutu par terre ? Nous ne saurons, hélas, jamais. A plus de soixante-ans, la dépression le touche au moment même où l'expression de son génie prenait une ampleur encore jamais atteinte: Les Idées Noires (1984). Il y a quelque chose de l'ordre de l'exceptionnel dans cet album; le style, l'humour grinçant, le talent. 

Dessin de Franquin

 

Une fois la dépression passée, Franquin reprend le crayon et se remet à dessiner, mais la virtuosité n'est plus au rendez-vous, Gaston a perdu son âme; quelques planches de gags supplémentaires viennent péniblement s'ajouter à la série, mais le génie a disparu. Maudite dépression! Toutefois, on peut supposer que le développement futur de la série aurait donné car, chose inédite, en lisant le dernier album normal de la série, La Saga des Gaffes, on peut réaliser ce qui était en train de se jouer: Gaston Lagaffe devenait enfin un jeune adulte. Oui, adulte! Son engagement pour la cause environnementale avec Greenpeace, sa guerre anti parcmètre avec Longtarin, et surtout sa sexualité avec Jeanne le prouvent.

En effet, Gaston commençait tout juste à connaitre une sexualité épanouie avec Mademoiselle Jeanne, ce qui donna l'occasion de quelques planches étourdissantes de sensualité, et quelques croquis non publiés des deux personnages en plein acte sexuel. Gaston fut donc l'un des rares personnages de bande dessinée à passer de l'âge de pierre à l'âge adulte. Pour de jeunes lecteurs de l'époque, il aurait pu les accompagner jusqu'à leur majorité, en se faisant toujours l'ami qui montre sa voie sans jamais devenir professoral.

Franquin: "Je ne voudrais pas que la bande dessinée serve à apprendre des choses à des gens. Elle n'est pas faite pour ça. Si la bande dessinée devient scolaire, elle se tue!" 

(Toutes les citations de Franquin sont tirées du livre Et Franquin créa la gaffe, éditions Glénat)

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Allez, si vous êtes fan de Franquin, voici quelques dessins supplémentaires pour le plaisir des yeux:

Dessin de Franquin

 

Dessin de Franquin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dessin de Franquin

 

 

Spirou Dessin de Franquin

 

 

Dessin de Franquin

 

 

 

 

 

 

Gaston Dessin de Franquin

 

 

Gaston Dessin de Franquin

 

 

Spirou Dessin de Franquin

 

 

Dessin de Franquin

 

Dessin de Franquin

 

 

 

Dessin de Franquin

 

 

Dessin de Franquin

 

 

Dessin de Franquin

 

Dessin de Franquin

 

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