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Art & Culture

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La connaissance est une aventure


Le Viol de Lucrèce

Publié par Hugues Folloppe sur 29 Mai 2023, 21:02pm

Catégories : #Histoire de l'Art, #Histoire

Tarquin et Lucrèce, Titien, 1515
Tarquin et Lucrèce, Titien, 1515

 

Le viol de Lucrèce est-il l’événement qui fit basculer la Rome monarchique à une Rome républicaine ?

Pour le savoir, il nous faut remonter dans le temps.

 Veuillez prendre place dans ce voyage à rebours. Attachez vos ceintures car les siècles défilent à vive allure et nous quittons bientôt les paysages urbains que nous connaissons pour découvrir des contrées luxuriantes et inexplorées. Nous approchons à présent de l’Italie que personne n’appelle encore Italie. Et nous voici arrivés en 509 avant l’ère chrétienne, il y a environ 2 532 ans. Arrêtons-nous là.

A la date à laquelle nous débarquons, c’est un certain Collatin l’un des deux Consuls à Rome. C’est lui qui détient le pouvoir suprême civil et militaire, lui aussi qui commande les armées.

Hubert Robert, le Port de Rome, 1766
Hubert Robert, le Port de Rome, 1766

 Depuis -753, le régime est une royauté romaine, ce qui expliquent la présence de jeunes princes, fils du roi Tarquin le Superbe , dans la même tente que Collatin lors du siège d'Ardée, en Italie centrale. Comme par jeu, ou par acquis de conscience, les fils du roi et Collatin se rendent régulièrement à Rome pour observer la conduite de leurs épouses. La beauté de leurs concubines éveille en eux la crainte de l’infidélité ; d’autant plus que l’épouse de Collatin, Lucrèce, jouit d’une grande renommée : on la dit d’une beauté superbe.

N’est-ce pas mon cher Tite-Live ?

_Assurément ! Lucrèce était saisissante de beauté !

_Alors, je vous en prie, racontez-nous encore comment ça s’est passé.

_Que je vous raconte ?

_Mais oui, ne faites le timide, vous êtes l’un des plus grands historiens de l’Antiquité. Nous sommes tout ouïe !

_Dans cas, d’accord ! Eh bien… voilà …  De temps en temps, ces jeunes princes dont vous avez parlé, abrégeaient les ennuis de l'oisiveté par des festins et des parties de débauche…. Si vous voyez ce que je veux dire ?

_Je pense que oui...

_Bien. Un jour qu'ils soupaient chez le prince Sextus Tarquin, avec Collatin, la conversation tomba sur les femmes; et chacun d'eux de faire un éloge magnifique de la sienne.

      La discussion s'échauffant, Collatin dit qu'il n'était pas besoin de tant de paroles, et qu'en peu d'heures on pouvait savoir combien Lucrèce, sa femme, l'emportait sur les autres.

« Si nous sommes jeunes et vigoureux, dit-il, montons à cheval, et allons nous assurer nous-mêmes du mérite de nos femmes. Comme elles ne nous attendent pas, nous les jugerons par les occupations où nous les aurons surprises. »

Banquet Romain, musée du Vatican

Le vin fermentait dans toutes les têtes.

« Partons ! » s'écrièrent-ils ensemble.

Et ils courent à Rome à bride abattue. Ils arrivèrent à l'entrée de la nuit.

De là ils vont à Collatie, où ils trouvent les belles-filles du roi et leurs compagnes au milieu des délices d'un repas somptueux; et Lucrèce, au contraire, occupée, au fond du palais, à filer de la laine, et veillant, au milieu de ses femmes, bien avant dans la nuit.

 Lucrèce eut tous les honneurs du défi.

 Elle reçoit avec bonté les deux Tarquins et son mari, lequel, fier de sa victoire, invite les princes à rester avec lui. Ce fut alors que Sextus Tarquin conçut l'odieux désir de posséder Lucrèce, fût-ce au prix d'un infâme viol.

Lorenzo Lotto, Lucrèce
Lorenzo Lotto, Lucrèce

Outre la beauté de cette femme, une réputation de vertu si éprouvée piquait sa vanité. Après avoir achevé la nuit dans les divertissements de leur âge, ils retournent au camp.

Peu de jours après, Sextus Tarquin, à l'insu de Collatin, revient à Collatie, accompagné d'un seul homme. Comme nul ne soupçonnait ses desseins, il est accueilli avec bienveillance, et on le conduit, après souper, dans son appartement. Là, brûlant de désirs, et jugeant, au silence qui l'environne, que tout dort dans le palais, il tire son épée, marche au lit de Lucrèce déjà endormie, et, appuyant une main sur le sein de cette femme :

« Silence, Lucrèce ! Dit-il, je suis Sextus Tarquin : je tiens une épée, vous êtes morte, s'il vous échappe une parole. »

Tarquin et Lucrèce, Rubens
Tarquin et Lucrèce, Rubens

 

Tandis qu'éveillée en sursaut et muette d'épouvante, Lucrèce, sans défense, voit la mort suspendue sur sa tête, Tarquin lui déclare son amour; il la presse, il la menace et la conjure tour à tour, et n'oublie rien de ce qui peut agir sur le cœur d'une femme.

Mais, voyant qu'elle s'affermit dans sa résistance, que la crainte même de la mort ne peut la fléchir, il tente de l'effrayer sur sa réputation. Il affirme qu'après l'avoir tuée, il placera près de son corps le corps nu d'un esclave égorgé, afin de faire croire qu'elle aurait été poignardée dans la consommation d'un ignoble adultère.

 Vaincue par cette crainte, l'inflexible chasteté de Lucrèce cède à la brutalité de Tarquin, et celui-ci part ensuite, tout fier de son triomphe sur l'honneur d'une femme.

L'histoire de Lucrèce (détail) par Botticelli
L'histoire de Lucrèce (détail) par Botticelli

Lucrèce, succombant sous le poids de son malheur, envoie un messager à Rome et à Ardée, avertir son père et son mari qu'ils se hâtent de venir chacun avec un ami sûr; qu'un affreux événement exige leur présence. Spurius Lucrétius arrive avec Publius Valérius, et Collatin avec Lucius Iunius Brutus. Ces deux derniers retournaient à Rome de compagnie lorsqu'ils furent rencontrés par le messager de Lucrèce. Ils la trouvent assise dans son appartement, plongée dans une morne douleur. À l'aspect des siens, elle pleure; et son mari, lui demandant si tout va bien :

« Non, répond-elle; car, quel bien reste-t-il à une femme qui a perdu l'honneur ? Collatin, les traces d'un étranger sont encore dans ton lit. Cependant le corps seul a été souillé; le cœur est toujours pur, et ma mort le prouvera. Mais vous, jurez-moi que l'adultère ne sera pas impuni. C'est Sextus Tarquin ! C'est lui qui, cachant un ennemi sous les dehors d'un hôte, est venu la nuit dernière ravir, les armes à la main, un plaisir qui doit lui coûter aussi cher qu'à moi-même, si vous êtes des hommes ! »

Le suicide de Lucrèce, Véronèse
Le suicide de Lucrèce, Véronèse

Tous, à tour de rôle, lui donnent leur parole, et tâchent d'adoucir son désespoir, en rejetant toute la faute sur l'auteur de la violence; ils lui disent que le corps n'est pas coupable quand le cœur est innocent, et qu'il n'y a pas de faute là où il n'y a pas d'intention.

« C'est à vous, reprend-elle, de décider du sort de Sextus. Pour moi, si je m'absous du crime, je ne m'exempte pas de la peine. Désormais que nulle femme, survivant à sa honte, n'ose invoquer l'exemple de Lucrèce ! »

À ces mots, elle s'enfonce dans le cœur un couteau qu'elle tenait sous sa robe, et, tombant sur le coup, elle expire.

La mort de Lucrèce, Fragonard
La mort de Lucrèce, Fragonard

 Son père et son mari poussent des cris.

Tandis qu'ils s'abandonnent à la douleur, Brutus retire de la blessure le fer tout dégoûtant de sang et, le tenant levé :

« Je jure, dit-il, et vous prends à témoin, ô dieux ! Par ce sang, si pur avant l'outrage qu'il a reçu de l'odieux fils des rois; je jure de poursuivre par le fer et par le feu, par tous les moyens qui seront en mon pouvoir, l'orgueilleux Tarquin, sa femme criminelle et toute sa race, et de ne plus souffrir de rois à Rome, ni eux, ni aucun autre. »         

Il passe ensuite le fer à Collatin, puis à Lucrétius et à Valérius, étonnés de ce prodigieux changement chez un homme qu'ils regardaient comme un insensé. Ils répètent le serment qu'il leur a prescrit, et, passant tout à coup de la douleur à tous les sentiments de la vengeance, ils suivent Brutus, qui déjà les appelait à la destruction de la royauté. Ils transportent sur la place publique le corps de Lucrèce, et ce spectacle extraordinaire excite, comme ils s'y attendaient, une horreur universelle. Le peuple maudit l'exécrable violence de Sextus….  Voilà, je vous ai tout raconté.

_Ah ! Merci mon cher Tite-Live ! Vous êtes un formidable conteur ! Et c’est ainsi qu’une révolution devait naître, en 509 et rendre odieux à jamais dans l’esprit des Romains le nom même de roi. Ce fut alors le début de la République romaine…

mais ça, c’est encore une autre histoire !

 

 

Emblème de Hugues Folloppe

 

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