Les gentils citadins qui s’engagent en politique pour sauver la planète réalisent-ils que leur première mission de sauvetage commence par la campagne qui se trouve à la périphérie de leur ville ?
La campagne française recule petit bout par petit bout, faute de ne pas attirer l’attention des lanceurs d’alertes environnementaux, bien plus focalisés à faire culpabiliser les citoyens sur leur prétendue irresponsabilité quotidienne (tri sélectif, véhicules propres, isolation des foyers, consommations de l’eau et de l’électricité…) qu’à s’insurger contre les décisions politiques locales.
Car, si les municipalités sont prêtes à tout pour développer le tourisme, manne financière indispensable à la survie des commerces locaux, il faut croire que leur cible principale est le touriste cinq étoiles. Pour ce touriste au portefeuille bien rempli, l’herbe sera tondue, les arbres élagués en cubes,
les pistes cyclables goudronnées, les berges des rivières aménagées avec des aires de pique-niques, des bancs, et même des panneaux installés au milieu d’un magnifique paysage naturel pour lui indiquer qu’ici aussi la Wifi est accessible, car il n’y a rien de plus rassurant que de se promener à la campagne avec une connexion internet permanente.
Il pourra même faire du jet ski sur quelques-unes des portions les plus tranquilles de la rivière si l’envie lui prend, comme à Bléré-la-Croix, en Touraine. Comme tout est bien pensé ! Heureusement que l’Homme a pris les choses en main car, décidemment, la nature était mal faite. C’est à se demander comment les générations précédentes faisaient pour se contenter de « se promener » dans la campagne.
Le déroulage du ruban bleu.
Malgré tout, on a du mal à comprendre en quoi un chemin de terre se dessinant comme un trait fin sur l’herbe pourrait empêcher notre touriste cinq étoiles de prendre du plaisir à l’existence d’une journée en campagne. Pourtant cela semble bien un obstacle à sa venue, comme en témoigne la rapidité avec laquelle les municipalités déroulent l’asphalte au beau milieu de nos campagnes fleuries.
Car, bien entendu, le touriste cinq étoiles qui choisit de traverser une zone rurale rêve avant tout d’une campagne « propre », c’est-à-dire une campagne où aucune trace de terre ne viendra salir ses chaussures. Que dirait-il s’il était crotté un jour de pluie ? Ce n’est pas concevable. Alors les municipalités ont pris le parti de lui aménager des chemins tout tracés, des pistes goudronnées et parsemées de panneaux de direction pour le rassurer.
Là où poussait bêtement de l’herbe qui permettait aux familles de venir s’y installer pour se reposer, voilà qu’à présent a été pensée et réalisée une voie goudronnée sur laquelle on ne peut plus rien faire d’autre que passer son chemin, en regrettant au fond du cœur de voir un si joli paysage abîmé pour longtemps.
Car, si vous êtes attentifs au fait que la nature est le décor de votre vie, en vous promenant gardez à l'esprit cette bande dessinée du dessinateur américain R. Crumb dans laquelle il montrait, déjà en 1979, un paysage naturel défiguré par l'intervention humaine, et demandez-vous à partir de quelle case la campagne n'est plus la campagne: