En règle générale, une nation commence d’abord par déclarer la guerre et ne s’estime vainqueur que si la fin tourne en sa faveur. Les Américains ont fait tout l'inverse: les insurgés ont d’abord déclaré leur indépendance le 4 juillet 1776, et ont ensuite sué sang et eau pour voir leur insurrection justifiée par les événements, jusqu'à la victoire de Yorktown le 19 octobre 1781.
L'ambition d'émancipation démocratique des insurgés n'est pas passée loin d'échouer purement et simplement. A vrai, cela on peut même ajouter qu'ils auraient échoué sans l’aide inattendue d’une nation encore royaliste pour quelques années : la France.
Cette histoire n'est pas un point de vue franco-français. Dans l'émission In Our Time diffusé par la BBC, Frank Cogliano, Professeur d’Histoire américaine, Kathleen Burk, professeure émérite d’Histoire Contemporaine et Moderne, et Michael Rapport, conférencier en Histoire de l’Europe Moderne, sont tous les trois d'accord sur ce point: les Etats-Unis ne seraient pas devenus indépendants sans la France.
Ayant dans ses projets de vaincre l’Angleterre, Louis XVI se montre favorable à l’établissement d’une alliance entre le royaume de France et ces rebelles américains dont l’intention est de ne plus se soumettre à la Couronne britannique. Dès 1775, le Congrès Continental, cette sorte de gouvernement des Etats-Unis avant l’heure, cherche l’assistance de toutes les nations étrangères hostiles à la Grande-Bretagne.
Mais qui sont donc ces américains qui veulent la guerre contre la monarchie ? Ce sont aussi des britanniques. C’est la raison pour laquelle l’alliance franco-américaine ne peut se faire tant qu’une déclaration d’indépendance n'est officiellement établie côté américain. Il s’agit pour eux de s’affirmer "Autre" pour obtenir un soutien légitime dans leur action. Voilà pourquoi les Américains ont d’abord déclaré leur indépendance avant d'entrer en guerre pour l'obtenir.
Dès lors, tout s’accélère : l’Alliance franco-américaine est négociée puis promue par deux américains francophiles : Thomas Jefferson et Benjamin Franklin. Côté français, le marquis de Lafayette,
qui a déjà servi sur le sol américain, est fait major-général de l’Armée Continentale et rejoint George Washington. Louis XVI envoie également un corps expéditionnaire français de quarante-neuf navires. Cette unité commandée par Rochambeau quitte le port de Brest le 2 mai 1780, et ce sont des vaisseaux aux noms splendides et formidables qui font route vers l’Amérique : Le Conquérant, l’Ardent, le Jason, le Neptune.
Un an plus tard, en mai 1781, Rochambeau et Washington se rencontrent et décident d’une stratégie pour faire face aux Britanniques. De son côté, Lafayette apprend que le commandant des troupes britanniques a pris position à Yorktown, dans l’Etat de Virginie. Le nom de ce commandant restera tristement gravé dans l’Histoire britannique : le marquis Cornwallis.
Sans en référer à Washington, voilà que Rochambeau décide de marcher sur Yorktown. Sur place, ce sont 7 5000 soldats britanniques qui attendent sous les ordres de Cornwallis. Mais Rochambeau n’est pas venu seul : 10 800 soldats français se joignent aux forces américaines.
Dans le port de Yorktown, la flotte française empêche les ravitaillements des anglais par la mer. Sur terre, les troupes franco-américaines encerclent la ville, reprennent les redoutes et les bastions puis assiègent Yorktown. Le combat dure vingt-et-un jours. Le feu sur Yorktown est plus intense que jamais. Cornwallis discute avec ses officier, conscient que la situation est bientôt sans espoir. Au matin du 17 octobre 1781, un soldat britannique bat du tambour, suivi par un officier agitant un mouchoir blanc. C’est la reddition de Cornwallis.
Signalons au passage que l'illustration ci-dessous, sensée montrer cette reddition de Cornwallis en octobre 1781 à Yorktown, reproduit une erreur anachronique. En effet, les soldats français regroupés à gauche de l'image, ne pouvaient pas servir sous le drapeau tricolore bleu-blanc-rouge que nous connaissons aujourd'hui puisque celui-ci n'a fait son apparition qu'au moment de la Révolution française de 1789. Selon toute vraisemblance, l'armée française devait plutôt arborer un drapeau blanc, la couleur royale.
C'est ainsi que les tous nouveaux Etats-Uniens parviennent à gagner la bataille la plus importante de la guerre Sécession, celle qui va leur permettre d'acquérir leur indépendance. En ce qui concerne la France, tout ce dont elle hérite c'est une dette massive. Les dépenses engagées s'avéreront fatales pour la monarchie française. En effet, lorsque la fin de la guerre est enfin signée en 1783, le traité de Paris ne prévoit pas la restitution à la France des territoires conquis lors de la paix de 1763. Les Etats-Unis d'Amérique ne se montreront pas plus reconnaissantes au cours des premières années du siècle suivant. L'affirmation d'un sentiment national américain passe par la création d'une mythification du récit national. La victoire avec alliés de Yorktown porte atteinte à l'idée d'exceptionnalisme selon laquelle les anglo-saxons américains sont le peuple élu de Dieu. L'idée que rien ne serait advenu sans le concours d'un petit pays comme la France est tout à fait incompatible avec l'idéal de puissance militaire américain.
Et pourtant, merci qui?