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Art & Culture

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La connaissance est une aventure


"Django, mon frère"

Publié par Hugues Folloppe sur 13 Septembre 2019, 08:50am

Catégories : #Musique

"Django fut un personnage exceptionnel."

C'est par cette phrase simple que débute le récit de Django, Mon frère écrit par l'ancien manager du Quintet du Hot Club de France, Charles Delaunay. Ce dernier, élevé dans un monde d'artistes, fils des peintres Robert et Sonia du même nom, fut avant tout un passionné du tourbillon musical de son époque,  un épris de Jazz auquel on doit notamment la création de la revue spécialisée Jazz Hot. Après une première publication de ses Souvenirs sur Django Reinhardt en 1954, c'est en 1968 qu'il publie aux éditions Eric Losfeld le livre Django, mon frère. Livre magique de par l'esprit qui s'en émane; livre extraordinaire qui plonge le lecteur dans l'ambiance de ce qui fut toute une époque; livre Bible pour tous les amateurs de Django Reinhardt, mort en 1953 à l'âge de 43 ans); livre qui - même pour les néophytes en la matière - ne peut pas laisser insensible, à partir du moment où l'on ressent en soi un tant soit peu une âme d'artiste.

Ce livre est introuvable. Il n'est plus édité depuis de nombreuses décennies. Les rares exemplaires disponibles en occasion se vendent à prix d'or chez les collectionneurs. Cet article demande sa réédition !

Phrase simple en incipit donc, et pourtant il fallait oser commencer son récit en donnant son avis de biographe. Or, on aurait tort d'imaginer que le livre de Charles Delaunay ne serait qu'une hagiographie béate narrant les aventures d'un extraordinaire manouche de romans.  Django, mon frère raconte bien les multiples aspects du caractère et de la vie du guitariste, sans nous en cacher la part d'ombre. 

"Fantasque, susceptible, la moindre contrariété lui fournissait prétexte à quelque nouvelle escapade". Avant d'ajouter: "Quoique orgueilleux et fier, comme le sont ses frères, Django semblait souvent paralysé par une timidité qui confinait parfois au complexe d'infériorité, et le faisait apparaître sous un jour "bon enfant", qui cachait une nature réservée".

A plusieurs reprises au cours de ses description, Delaunay exprime sans détour sa façon de voir la vie des nomades, employant un franc-parler qui choquerait sans doute la bien-pensance de notre époque:

"C'est dans cette absence d'éducation, et surtout de culture, qu'il faut chercher l'explication d'une vie qui confine à la légende, et dont les actes révèlent une incohérence déconcertante. [...] Tel le beau-frère de Django qui, venant pour la première fois habiter en hôtel, ne pouvait s'endormir sans laisser couler l'eau du robinet, habitué qu'il était à dormir près des ruisseaux".

Django et son fils Babik au Bourget en 1949

Charles Delaunay nous permet de mieux nous figurer la carrure de Django par cette description: 

"Dès son plus jeune âge, il se distinguait de ses frères de race par une beauté et une noblesse naturelles qui lui valurent de la part des siens le respect et la vénération qui sont l'apanage des chefs. Plus grand que la moyenne des manouches, les épaules larges [...] toute sa silhouette donnait une impression de calme puissance. Il était physiquement fort, d'une force naturelle qu'avait développée l'existence active de ses jeunes années, alors qu'il vivait en plein air, n'importe où, au gré des haltes de sa roulotte. [...] Bien que misérable de naissance, Django avait l'âme d'un grand seigneur." 

Vincent Van Gogh, campement de gitans

Tel était Django Reinhardt: un condottiere de la musique égaré en plein XXe siècle, nous dit Stéphane Grappelly. Et puis, un soir, alors que Django, âgé de 18 ans, se fait déjà un renommée en tant que joueur de banjo, arrive l'accident qui va bouleverser sa vie ainsi que le destin de la guitare jazz.

 "Il était une heure du matin, écrit Delaunay. Django venait de rentrer de La Java. Il avait trouvé l'intérieur de la roulotte rempli de fleurs artificielles qu'on allait porter demain au cimetière. Il y en avait partout; pensez donc, on en avait acheté pour plus de mille francs !

"Sa femme qui attendait un enfant, dormait déjà. Il s'apprêtait à la rejoindre lorsqu'il entendit parmi les bouquets un bruit qui pouvait bien être celui d'une souris. Prenant l'unique bougie qui éclairait l'intérieur, il s'avança pour inspecter les lieux. Mais la bougie; presque entièrement consumée lui resta dans les doigts tandis que la mèche enflammée tombait sur les fleurs en celluloïd qui prirent feu d'un coup.

"En quelques instants, la roulotte ne fut plus qu'une torche. Et tandis que Django tombait sans connaissance sous une couverture qu'il avait saisie de la main gauche pour se protéger, il entendait dans sa demi-conscience les cris des voisins accourus au dehors:

"_Django est dedans !

"Se relevant alors et traversant la pièce en flammes, il parvint à sortir du brasier, en se tordant de douleur. Sa femme avait pu quitter à temps la fournaise, non sans avoir eu les cheveux complètement brûlés. On emmena Django chez son beau-père, qui constata que la main qui avait tenu la couverture était devenue informe, toute enflée et rouge, et le fit transporter d'urgence à Lariboisière où devait se dérouler son long calvaire. C'est seulement en déshabillant Django qu'on découvrit que le côté droit de son corps était entièrement brûlé, depuis la mi-jambe jusqu'à la ceinture [...] Devant la gravité de la blessure, le chirurgien décida l'amputation de la jambe, que Django refusa".

On le sait, Django s'en sortira, mais gardera toute sa vie deux doigts de sa main gauche (la main qui joue les notes sur le manche de la guitare) paralysés. Le talent extraordinaire du jeune musicien allait à présent se transformer en génie: Au cours des dix-huit mois durant lesquels il resta à l’hôpital, il réapprit à jouer de la guitare - à la stupeur des médecins - avec seulement trois doigts. Il lui fallait tout réinventer en matière de technique. Personne avant lui n'avait imaginé trouver des accords et des harmonies pour une main handicapée. 

"Un jour que toute la gente nomade est assemblée pour assister à une fête familiale, Django se joint aux musiciens.... C'est la révélation ! Les vieux pleurent devant le miracle qui s'est accompli, cependant qu'on devine chez d'autres un profond dépit qu'ils ont du mal à cacher".

 

Extraordinaire de rapidité, de précision, de compréhension de la musique. La musique est innée chez lui; il ne connaît pas le solfège ni les termes de l'écriture musicale, pourtant il devient compositeur et arrangeur né. Encore aujourd'hui nombre de guitaristes apprennent par cœur ce qui ne fut pour Django qu'une fulgurante improvisation.

"On se rendra peut-être encore mieux compte des extraordinaires dons créateurs et de l'ampleur "orchestrale" de l''improvisateur dans une interprétation comme "Improvisation" [enregistré le 27 avril 1937]. Quand on saura qu'elle lui fut demandée à brûle-pourpoint dans le studio, au cours d'une séance d'enregistrement du quintette, sans qu'il ait eu le temps de préparer quoi que ce fût auparavant.

"_Tu n'as qu'à improviser quelque chose, lui dis-je, ce sera bien, va !

Et Django, absolument seul, improvisa d'emblée une petite pièce musicale impromptue, qu'il arrêta lorsqu'on lui eut fait signe que les trois minutes fatidiques du disque allaient s'achever. Or, lorsqu'on écoute aujourd'hui cet enregistrement, on a peine à croire qu'in tel chef-d'oeuvre, délicat et violent à la fois, grouillant de trouvailles mélodiques, harmoniquement surprenant de richesse, mais d'une homogénéité parfaite, ait pu être ainsi totalement improvisé. Et pourtant, c'est ainsi que ce disque fut fait".

Tous les guitaristes du monde rêveraient de pouvoir improviser aussi génialement que Django; On pourrait d'ailleurs regretter le manque de renouvellement dans le jazz dit "manouche" qui, en grande partie, ne fait désormais que ressasser sans cesse les motifs tirés du maître, ce que le guitariste Joe Pass déplorait également. Le génie de Django n'a pas encore été égalé, permettons qu'il reste unique comme une étoile filante. Les anecdotes, désopilantes et stupéfiantes, sont encore nombreuses et cet article ne suffira pas pour tout relater. Pourvu que ce livre fabuleux soit un jour réédité pour que le public puisse à son tour s'émerveiller de ses trésors !

 

Voici la fameuse improvisation de Django Reinhardt enregistrée en avril 1937.

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