Ci-dessus: détail du tableau intitulé Madame Vigée-Le Brun et sa fille, Jeanne-Lucie-Louise, dite Julie. Huile sur toile, 1789.
Née le 16 avril 1755 à Paris, issue de la petite bourgeoisie , Elisabeth Vigée Le Brun fut une femme ambitieuse. Elle sut trouver sa place au milieu des grands du royaume, et notamment auprès du roi et de sa famille. Elle connut une certaine fascination pour les femmes de pouvoir et devint vite la peintre officielle de la reine Marie-Antoinette.
En cette seconde moitié du Siècle des Lumières, toute jeune femme de bonne famille apprend à dessiner et à pratiquer le pastel. Nombres de jeunes aristocrates se livrent à ces exercices. Elisabeth a la chance d’être née dans un milieu d’artistes. Même si son père meurt tôt, elle l’a vu fréquenter des peintres et a très vite manifesté un don pour le dessin. Elle fait le portrait de sa mère même si, avant les années soixante-dix, on ne connaît rien de sa main. Dès les premières compositions, c’est une artiste qui maîtrise parfaitement la peinture.
Ici à droite: Détail du portrait de Julie Lebrun, huile sur toile, 1792.
A nos yeux de spectateurs contemporains, Elisabeth Vigée Le Brun représente toute une époque qui se termine, à la fois parce qu’elle a connu la notoriété dans les toutes dernières années de l’Ancien Régime, c'est-à-dire tout un pan de l’histoire de France qui fait désormais partie du passé, mais aussi parce qu’elle mourra en 1842, soit trois ans à peine après l’invention du daguerréotype, c'est-à-dire la photographie, qui va définitivement bouleverser la représentation humain, l’art du portrait compris.
ici à gauche: Détail du Portrait de la Marquise de Pezay et de la Marquise de Rougé, 1787.
Avant l’arrivée de la photographie, la seule manière d’obtenir un portrait de soit était de faire appel à un peintre. Autant dire que le résultat final reposait exclusivement sur le talent de l’artiste dont le talent devait suffire pour rendre au mieux l’expression d’un visage.
Elisabeth Vigée Le Brun aime la haute société d'avant 1789, qu’elle représente en la jugeant totalement idéale. Elle peint une élite, elle peint une classe sociale, elle peint un art de vivre, elle peint le Pouvoir aussi bien que ses amis, c'est-à-dire un cercle d’Ancien Régime dont elle restera nostalgique même après que la Révolution aura fait son œuvre. Ainsi, les visages peints par Elisabeth sont obsédants parce qu’on les retrouve éclairés d’un dernier jour, d’un dernier sourire, d’une dernière illusion.
C’est un certain Age d’Or d’Ancien Régime que nous contemplons par le biais de ces peintures. C’est une société qui s’amuse, qui badine, qui chante et joue. Cela agace toujours un peu notre regard de républicains modernes car on y voit une société privilégiée qui se contemple elle-même, qui aime à se voir dans son petit paradis coloré.
ici à droite: Portrait de l’impératrice Elisabeth Alexeievna of Russia. 1795.
Certains critiques ont vilipendé le manque d’expressivité apparente des visages peints par Vigée Le Brun, le manque de présence des corps dans les vêtements, le côté répliqué du savoir-faire de la peintre. Cependant, même si ces critiques ne sont pas tout à fait fausses, le talent est incontestable et il dépasse les préjugés. On pourrait trouver à redire chez les plus grands, mais n’est-ce pas justement là leur style ? Les portraits de Frans Hals ne ressemblent pas à ceux de Fragonard qui n’ont rien à voir avec ceux de Vigée Le Brun, et c’est tant mieux.
Chez Vigée Le Brun, les modèles sont formidablement féminines. Elles rayonnent de beauté naturelle ; croquées sur le vif au moyen d’esquisses au pastel, les figures présentent toutes la même élégance gracieuse. Les aspérités sont gommées, les défauts minimisés. On assiste aux retouches photos avant l’apparition de la photo.
ici à gauche: Portrait de la Princesse Caroline de Liechtenstein
Pourtant, Elisabeth cherche un certain naturel dans la présentation de ses modèles ; elle ambitionne de cerner l’individu, d’en révéler les caractéristiques, par des moyens frisant le naturel. Le refus de toute affectation, de toute mise en page complexe, de mise trop formelle, aboutit à ce qu’on appelait alors le «portrait au naturel». Si les peintres ont recherché depuis longtemps le moyen d’échapper à des poses et à des expressions trop figées (Léonard de Vinci s’exprimait déjà à ce sujet), les artistes du XVIIIe siècle ont fait la part belle à cette impression de spontanéité.
Grâce aux glacis, aux transparences, aux carnations, on ne voit jamais la touche de l’artiste et la peau vibre en fonction de la lumière. À la robe à la française, elle préfère la robe-chemise, blanche, vaporeuse, que les femmes adoptent avec bonheur. Comme elle l’affirme dans ses Souvenirs, elle a dû contribuer à cette façon nouvelle de se faire représenter. Ses clientes faisaient copier ces robes blanches portées par l’artiste. Un des accessoires majeurs introduits dans la garde-robe féminine à la fin du XVIIIe siècle, le châle, est prétexte à de nombreuses variations. La Comtesse Skavronskaia s’y love avec délicatesse.
ici à droite: Madame Du Barry, 1781.
Si parfois le visage seul est dépeint, nombre des personnages sont cadrés sous les hanches et tiennent à la main un objet. L’action est rare. Dans la plupart des cas, les modèles sont inactives. Détendues, sagement assises, elles semblent partager avec le spectateur l’une des conversations qui se tenaient dans les salons. Leur pose est souvent la même: accoudées sur un coussin, une table, une base de colonne, voire un rocher, elles laissent nonchalamment tomber l’autre bras sur leur robe, devenant de purs objets de contemplation.
L'historien anglais Colin Jones considère que le premier autoportrait de la peintre Élisabeth Vigée Le Brun avec sa fille (1786), ici à gauche, est le premier vrai sourire représenté de l'art occidental où les dents sont apparentes. Lors de sa présentation, il est jugé scandaleux. En effet, depuis l'Antiquité, les représentations de bouches avec les dents existent mais elles concernent des personnages connotés négativement, comme le peuple ou des sujets ne maîtrisant pas leurs émotions (peur, rage, extase, etc.), par exemple sur les toiles flamandes du XVIIe siècle avec des ivrognes ou encore des enfants. Rarement, des artistes font d'eux des autoportraits où on les voit sourire avec leurs dents mais Colin Jones considère cela comme un hommage à Démocrite, où le rire furieux fait écho à la folie du monde.
A l'époque, l'hygiène déficiente gâte les dents, les gens les perdent souvent avant l'âge de 40 ans : garder la bouche fermée et contrôler son sourire répond donc à une certaine nécessité pratique. La toile de Vigée Le Brun choque ainsi car elle transgresse les conventions sociales de son temps, qui demandent une maîtrise de son corps, mais quel sourire ! Le visage radieux illumine le tableau et même si l'on ne connaît pas Elisabeth, on se surprend à sourire avec elle, comme une amie que l'on retrouve.
ci-dessous: Julie Le Brun regardant dans un miroir, 1787.
Cet article croise plusieurs sources et témoignages que vous pouvez retrouver aux références suivantes:
https://www.grandpalais.fr/pdf/dossier_pedagogique/dossier_pedagogique_vigee_le_brun.pdf
https://youtu.be/G3QAsL2IWn8
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lisabeth_Vig%C3%A9e_Le_Brun