Elle est l'autre star du musée du Louvre, après la Joconde de Léonard de Vinci, vedette parmi les sculptures antiques présentes, alors qu'en grande partie incomplète, pourquoi la Vénus de Milo est-elle à ce point célèbre ? Décryptage par l’un des plus grands spécialistes de la statuaire grecque, le conservateur du patrimoine en charge de la sculpture grecque au musée du Louvre et professeur à l’Ecole du Louvre, Ludovic Laugier.
Toute la question est de savoir pourquoi c'est un chef-d'œuvre. C'est un chef d'œuvre de l'histoire de l'art parce qu'elle est célèbre depuis le XIXe siècle, pour toute une série de raisons qui sont liées au dix-neuvième siècle, et aussi parce qu’il s’agit d’une sculpture de l'époque hellénistique dans le contexte des productions des Cyclades (archipel de la mer Egée).
C'est une œuvre qui a été découverte en avril 1820 par un officier de marine qui s'appelait Olivier Voutier, qui naviguait vers l'île de Milos en Grèce, qu'on appelle aussi Milo.
Il rencontre un paysan qui cherche des pierres pour construire les murs dans son champ. Parmi ces pierres, Voutier reconnaît tout de suite des sculptures intéressantes, donc il les réserve, il donne quelques pièces de monnaie et puis ensuite, les autorités françaises négocient auprès des autorités ottomanes pour s'assurer la propriété de l'œuvre.
La France obtient des Ottomans cette œuvre qui arrive à Paris et est offerte à Louis XVIII qui se la fait présenter au premier étage du musée du Louvre. Il y a alors une médaille qui commémore cette confrontation entre le roi podagre sur sa chaise roulante, et la belle Vénus. Et c'est déjà une façon d'asseoir la notoriété de l'œuvre de façon un peu piquante.
La Vénus qui devient très vite célèbre pour la raison suivante : Nous sommes sous la restauration. Or, le Louvre a été le plus grand musée du monde sous le Premier Empire : on y a vu le Laocoon, l'Apollon du Belvédère, la Vénus Médicis.
Après la défaite de Waterloo, toutes ces œuvres, selon les termes du congrès de Vienne, sont rendues aux alliés. Si bien que les salles sont en partie vides, alors que les musées se livrent à une compétition nouvelle, celle des musées majeurs, des États qui s'imposent comme des États nations. Chaque musée veut avoir une collection de référence. Dans ce contexte, que fait le Louvre ? Le Louvre présente vastement la collection Borghèse qui a été achetée par Napoléon, qui donc restait sur place, et met en valeur un original grec, pense-t-on, qui vient d'arriver à Paris : la Vénus de Milo.
Pourquoi ce que la Vénus de Milo est-elle célèbre ? Parce qu'elle vient combler un vide. Mais aussi parce que Paris, au XIXe siècle, est la capitale des beaux-arts. Tous
les artistes, tous les collectionneurs passent par Paris, passent par l'école des beaux-arts, passent par le Louvre, et dessinent, étudient, dédient des poèmes à la Vénus de Milo. De cette façon, l’œuvre devient le catalyseur de toute une série de louanges, de fantasmes. On peut citer Rodin, « un ventre vaste comme la mer » ou encore Rilke. Il y a aussi des dessins de Cézanne. On pourrait comme ça multiplier les références ; c'est un chef d'œuvre parce que la notoriété de l'œuvre, mais aussi la notoriété du musée, la notoriété de Paris se conjuguent pour en faire une œuvre célèbre.
Pour comparaison, on peut citer le Poséidon de Milos. C'est la même technique de fabrication, c'est une œuvre qui est au centre d'une salle du musée national d'Athènes, mais elle est beaucoup moins connue, elle n'a pas la même notoriété, elle n'est pas iconique, elle n'est pas reproduite à l'infini, partout, dans les livres, dans les médias, dans les publicités, bien que mieux conservée.
Concrètement, ce que Olivier Voutier a découvert, c'est une œuvre en pièces rapportées, ce qui est une technique fréquente durant l'époque héllenistique. La statue est faite en 2 blocs, de la tête jusqu'aux
hanches et des hanches jusqu'aux pieds. Les bras étaient aussi rapportés, c'est certain, pour le bras gauche on a encore la mortaise. Pour le bras droit, le bras est coupé net, on hésite pour savoir s'il s'agit d'une réparation antique ou d'un réajustement technique. Toujours est-il qu’on trouve ce type de technique très fréquemment dans les Cyclades, où l'œuvre a été découverte.
Les ateliers des Cyclades s'illustrent par la réalisation de ce type d'œuvres en pièces rapportées. On a beaucoup d'exemples à Tinos, et surtout à Délos. L'œuvre était en plus agrémentée de parties métalliques, des boucles d'oreilles. Il nous reste les trous dans les lobes. Un diadème. Là aussi, on conserve les petites roues sur le bandeau qui enserre la chevelure ondoyante de Vénus. Et puis, il y avait un bracelet de bras dont on voit encore les trous sur le bras droit. À tout ceci, on peut rajouter une possible polychromie qui n'est pas aujourd'hui conservée, mais peut-être que la chevelure était peut-être rehaussée de couleurs, tout comme l'incarnat des lèvres.
On compare souvent cette œuvre avec un autre type statuaire, celui de la Vénus de Capoue. La Vénus de Capoue est une copie romaine qui est conservée au musée archéologique de Naples. Le type de la Vénus de Capoue et de la Vénus de Milo se ressemblent beaucoup. On se rend bien compte que la Vénus de Milo dépend considérablement de ce modèle. Toute la question est de savoir si c'est une copie à main libre de du type de la Vénus de Capoue, ou si elle renouvelle la leçon de la Vénus de Capoue, telle une œuvre retrospective, « à la manière de ». Si l’on observe la Vénus de Milo de trois-quarts, ou si on se place pratiquement de face, à ce moment-là, c'est une œuvre rétrospective, à la manière de classicisante qui cite les maîtres du passé et notamment du IV siècle avant notre ère.
Grâce à la série du type de Capoue on sait dans quelle position étaient ses bras. Or, elle lève le bras gauche, l'épaule est haussée, le bras droit croisé. La poitrine tenait-elle un attribut, tenait-elle un bouclier ? Auquel cas pourquoi, a-t-elle la tête si levée ? Elle devrait l'incliner. On peut faire plusieurs conclusions, et c'est une des raisons pour lesquelles le débat n'est pas entièrement tranché.
Source: Musée du Louvre. https://youtu.be/pKsdb8dq7fo?si=-3eg5XhTBj1uwh1h