Bien que docteur en philosophie, une critique répandue voudrait que Michel Onfray ne serait pas vraiment un philosophe. La raison : il n’aurait pas de doctrine philosophique reconnaissable comme sa marque de fabrique intellectuelle. Alors, qu'en est-il vraiment?
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Philosophe = créateur de concepts ?
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Pour certains, un philosophe est avant-tout un créateur de concept : le noumène, le cogito, la substance, l’être et le non-être, la chose en soi, l’affect, l’éternel retour des choses, etc, etc, autant de concepts qui ont jalonné l’histoire de la pensée intellectuelle et qui illuminent les mornes journées des étudiants en philosophie. Mais cette définition du philosophe est en réalité très moderne; elle a été défini par Gilles Deleuze et Félix Guattari dans leur ouvrage Qu'est-ce que la Philosophie? publié en 1991.
Or, dans l'esprit classique, au sens antique du terme, le philosophe est la personne qui « cherche la vérité et cultive la sagesse ». Ainsi, cette seconde définition réintègre dans le rang philosophique des personnalités tels que Socrate et Montaigne, mais aussi tous les Epicuriens, le Stoïciens et les Cyniques, ce qui fait du monde.
Concept ou pas concept chez Onfray ?
Oui ! Certes, Michel Onfray est l'héritier d'un lignée qui commence avec Epicure puis Lucrèce, et se poursuit avec Diogène le Cynique, plus tard avec Nietzsche et continue jusqu'à Albert Camus. Il nous propose de vivre un hédonisme réaliste. Mais pas seulement.
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Il existe bien un concept philosophique propre à Michel Onfray: c’est le principe de Don Quichotte, expliqué dans son livre intitulé Le réel n’a pas eu lieu .
Comme il aime à le répéter :
« Les gens préfèrent un mensonge qui les rassurent plutôt qu’une vérité qui les angoisse ».
C’est aussi vrai en matière de religion qu’en politique, en recherches historiques qu'en amour...
Pour Onfray, le personnage de Cervantès représente l’homme pour qui «le réel n’a pas eu lieu». Tout au long du roman, Don Quichotte croit que les antiques livres de chevalerie qu'il a lus disent vrai, que les fées et les magiciens existent, qu'il existe un idéal de vertu visant à protéger la veuve et l'orphelin. Le Réel (ce qui existe, ce que l'on voit) n'existe pas en tant que tel ; seules les Idées et les représentations du réel existent. Don Quichotte est ainsi un « dénégateur du Réel ». Philosophiquement parlant, c'est un adepte du Platonisme et de la transcendance.
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Le personnage de Sancho Panza est l'exact opposé de Don Quichotte : comme saint Thomas, il ne croit que ce qu'il voit ; il est attaché au Réel, qu'il considère comme la seule réalité existante ; il agit en fonction de ce qu'il voit, de ce qu'il entend et en fonction de son intelligence et de son propre raisonnement. Libre penseur, il agit « dans le réel ». Philosophiquement parlant, c'est un adepte de l’épicurisme.
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Le principe de Don Quichotte est la clé de voute de la pensée onfrayenne. Quand on a compris que le philosophe nous invite à devenir des Sancho Panza, chacun de ses livres - pamphlets, biographies, traités, essais - devient alors une étape de ce travail monumental.
Le principe de Don Quichotte nous propose une introspection qui mène à la sagesse : portons-nous sans le savoir des lunettes idéologiques ? Sommes-nous des dénégateurs inconscients du Réel ? Sommes-nous clairvoyants dans nos emportements ?
A notre époque de fausses informations et de haine sur les réseaux sociaux, il faut avouer que l'application de ce principe relève de la difficulté des travaux d'Hercule... ou, tout simplement, de la sagesse philosophique.
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Pour en savoir plus:
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A lire, le récent ouvrage de Martine Torrens Frandji, Michel Onfray: le Principe d'Incandescence, aux éditions Grasset, qui servira de guide pour découvrir l'œuvre du philosophe, car on a souvent réduit son travail à deux ou trois livres médiatisés alors qu'il a écrit plus de soixante ouvrages, fort divers, où il est question de philosophie, de littérature, de poésie, de musique, de peinture, de photographie.
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Le livre de Henri de Monvallier, Le Tribun de la Plèbe (éditions de l'Observatoire), quant à lui, démonte les accusations d'extrémiste de droite que les mauvaises langues portent sur Onfray, et prouve de quelle manière son travail philosophique s'inscrit dans une constante de gauche libertaire à tendance proudhonienne. Fondant son engagement sur le souci du peuple, le mettant en oeuvre en intervenant dans le débat public, Onfray se fait tribun de la plèbe. Dans la Rome antique, cette figure portait la toge ; aujourd'hui, ce serait le gilet jaune...