Bizarre, bizarre… Ce tableau intitulé Les Noces de Cana montre le Christ en son centre. Jésus s'est-il marié?
Qui est la femme qui se trouve à gauche du Christ ? Pourquoi tient-elle sa main ouverte comme si elle tenait un verre invisible ?
La composition de la peinture a été réalisée pour une lecture de gauche à droite. A gauche, c’est le commencement de l’histoire, la fin à droite.
A gauche: Nous sommes à Cana, en Galilée, et nous assistons aux noces du premier couple assis là.
Devant eux, l’homme qui s’appuie sur l’estrade est en train d’exposer ses richesses. Dans cette démonstration de son faste, il leur offre
vraisemblablement un oiseau exotique. Véronèse guide l’observateur attentif en utilisant le serveur de vin et le geste de l’époux qui reçoit pour aider à cette interprétation.
Assez rapidement, pourtant, il semble y avoir un souci dans l’assemblée. L’homme du turban vert se retourne pour demander s’il pourrait être resservi, comme le suggère sa main qui interpelle un homme derrière lui. Il en va de même pour l’homme barbu qui les observe, sa main posée sur le rebord de la table pour marquer son intérêt à l’égard de la conversation et qui démontre peut-être aussi sa propre impatience.
En effet, il semble que la plupart des convives n’aient pas de verre, ou qu’il n’y ait pas assez de vin pour les sustenter tous, en dépit de la contenance de la grande jarre tenue par un serviteur à l’ouverture de l’assemblée.
Et si l'on s'étonnait de voir les mariés relégués dans un coin de table à leur propre mariage, alors qu'ils auraient dû occuper la table d'honneur au milieu, c'est bien parce que celle-ci revient d'abord et avant tout à Jésus et ses proches. Car oui, dans le tableau, les noces servent plus de prétexte au véritable sujet : le premier miracle du Christ, comme il est écrit dans l'évangile selon Jean (Jn 2:11). Il s'agit donc d'une œuvre d'art sacré commandée en 1 par le bénédictin Paul et destinée au réfectoire du monastère San Giorgio Maggiore, à Venise.
Le vin vient à manquer. La rumeur parvient au groupe central par le biais de ce personnage (ici à gauche, en rose avec une barbe blanche) dont le coloris se rapproche étrangement de celui qu’on attribue à l’apôtre Pierre dans la tradition picturale. Sans certitude sur sa véritable identité, il semble néanmoins s’adresser à la Marie. Car, selon la Bible, c'est Marie qui dit à son fils: "Ils n'ont pas de vin".
Jésus et Marie sont les seuls à posséder des auréoles illustrant leur sainteté. Même le personnage situé à droite de Jésus, qui semble être Joseph, l’époux de Marie, ne possède pas d’auréole. Jésus est la seule figure du tableau à demeurer de face et d’un calme imperturbable. Cette particularité appuie le caractère présent et surnaturel du Christ qui se trouve d’autant plus renforcé par le sablier dessiné sur le même axe central que lui.
Disposé sur la table des musiciens, ce sablier leur permet de mesurer du morceau qu’ils sont en train de jouer. Mais il revêt surtout le rôle de memento mori qui, au même titre qu’un crâne humain en peinture, rappelle à l’homme qu’il va mourir. Cet objet est non seulement un moyen de prolonger la portée symbolique de la présence du Christ, mais sert aussi de point de repère dans la peinture car il indique l’endroit précis de l’accomplissement du miracle : l’eau s’est changée en vin !
Partie droite: La réaction de certains personnages est d’ors et déjà flagrante, notamment dans la figure du dernier apôtre qui, confus, prend du recul en se penchant en arrière.
Sur le côté droit, les convives sont plus agités que du côté gauche car personne ne regarde dans la même direction. La déambulation du regard plonge sur le serviteur qui vers le vin et se redresse sur l’invité qui inspecte sa coupe.
Dans cette section droite, tout découle de l’action du verseur. En effet, on distingue très clairement le filet de vin qui coule dans la carafe en or.
Le miracle est accompli et les convives agissent en conséquence. Un invité en bleu à droite, lève un doigt tendu vers le ciel. D’autres visages se lèvent également, quelque chose de divin vient de se passer.
La stupéfaction apparente des convives élève naturellement notre regard. Il y a une sorte de fourmillement équivalent à la partie inférieure. Les personnages de la partie supérieure sont des serviteurs et des cuisiniers qui s’affairent au bon déroulement des noces. Il y a même cet homme qui se penche pour observer la réception, sans doute le maitre cuisinier soucieux du service.
Malgré tout ce faste apparent, Véronèse sait cependant opérer une économie de détails, notamment à certains endroits qu’il juge trop éloignés pour être remarqués. Les personnages en hauteur sont traités presque de façon sommaire. Véronèse marque leur visage en distinguant simplement les ombres au niveau des yeux, sans même esquisser leur bouche. Il ne s’agit pas d’une volonté de mépris de classe, mais plutôt parce que Véronèse, savant dans la confection de l’image, sait qu’il ne faut pas encombrer l’œil du spectateur par un trop plein visuel qui nuirait à l’efficacité picturale.
Au Louvre, le malheur de cette peinture sacrée est sans doute d’avoir été placée en face de la célèbre Mona Lisa de Léonard de Vinci. Célébrité médiatique oblige, le public qui entre dans cette salle fait, par la même occasion, dos au chef-d’œuvre de Véronèse.