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Art & Culture

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La connaissance est une aventure


Le Pont de l'Europe, de Gustave Caillebotte

Publié par Jean Béraud sur 1 Février 2025, 18:04pm

Catégories : #Histoire de l'Art

Gustave Caillebotte, Le pont de l'Europe

L’un des chefs d'œuvres de Gustave Caillebotte est un tableau intitulé le pont de l'Europe, de 1876 alors qu’il n’en est qu’au tout début de sa carrière de peintre . Le tableau est exposé en 1877 à la troisième exposition du groupe impressionniste. A cette époque, il brille vraiment par l'ambition et la nouveauté de ses créations, puisqu'il présente à la fois Le Pont de l'Europe mais aussi Rue de Paris, temps de pluie qui est son plus grand format jamais peint.

En 1877, Caillebotte s'affirme vraiment comme l’un des grands artistes du groupe impressionniste. Et surtout comme un grand peintre du Paris moderne. C'est vraiment ce qu'il explore avec ses compositions : il montre la ville de Paris d'une manière totalement novatrice et, surtout, dans des formats jusqu'ici quasiment jamais utilisés. Ces formats, qui sont normalement plutôt utilisés pour la peinture d'histoire, remplacent la peinture d'histoire par la vie de tous les jours, la vie quotidienne des Parisiens, par une sorte de scène de genre urbaine, quelque chose qui ne rentre en fait dans aucune des cases de la peinture de cette époque-là, ni dans les cases de la hiérarchie des genres et des différents genres picturaux.

Esquisse pour le tableau

C'est cette réalité-là à laquelle nous devons nous consacrer, la beauté, la poésie, l'héroïsme même de la condition moderne, un petit peu comme l'avait appelé quelques années auparavant le poète Baudelaire qui avait appelé à ce que le peintre de la vie moderne se saisisse de ces sujets.

A l’époque, le pont de l'Europe est une construction très récente, de la fin des années 1860, et c’est un grand ouvrage d'architecture métalliques, quasiment d'architecture industrielle, qui domine donc les voies de chemins de fer de la gare Saint-Lazare qui se trouvent à droite de la composition, et qui permet de relier plusieurs quartiers entre eux qui étaient séparés par les voies de la gare Saint-Lazare.

Autre esquisse pour le tableau

Caillebotte habite dans ce quartier-là ; c'est probablement un axe qu'il emprunte régulièrement pour aller de de son hôtel particulier, de la rue de Miromesnil, vers les quartiers de la place de Clichy, de Pigalle, des Batignolles où se trouvent les ateliers de ses amis, ou encore les cafés, comme le café de la nouvelle Athènes par exemple, Place Pigalle. Le Paris de caillebotte, c'est un Paris évidemment industriel, moderne en tous points.

Il ne parle pas l'île de la Cité ou la rive gauche, il ne peint uniquement son propre quartier. On voit ici la manière dont il voit cette ville nouvelle qui est en train de se construire sous ses yeux, et à quel point l'étrangeté de ces visions lui inspire des compositions nouvelles.

C'est une œuvre autobiographique, puisque c'est en fait un autoportrait de Caillebotte que nous avons dans l'œuvre. C'est Caillebotte lui-même qui se représente au centre du tableau en flâneur en déambulant sur ce pont, au milieu de cette sorte de scène de théâtre.

L'œuvre est censée donner le sentiment du hasard, du naturel, de quelque chose de d'une réunion spontanée comme ça, de gens qui se croisent sans trop de raisons sur ce pont, mais en réalité, c'est une composition qui est très pensée, qui est minutieusement préparée par des dessins, par des études peintes.

Avec ce tableau, il nous montre aussi un petit peu sa vision idéale de la société et la manière dont il essaie toujours de réduire l'écart entre les classes sociales, de refuser les antagonismes de classe, et notamment cette place importante qu'ils donnent aux figures de travailleurs et d'ouvriers dans ces tableaux. C'était déjà le cas avec les Raboteurs de Parquet auparavant. Ici, vous le voyez avec cette figure, notamment cet homme qui marche de dos, et cet homme à droite, qui a l’un des premiers rôles dans la composition, qui est un travailleur ouvrier est en train de regarder, de rêver, accoudé à la balustrade du pont de l'Europe, vers les voies de chemin de fer.

Les Raboteurs de parquet Caillebotte
Les Raboteurs de parquet

Le choix de Caillebotte est un choix extrêmement nouveau, audacieux. Le travailleur n'est pas à l'arrière-plan, il n'est pas en train de travailler. Il est représenté quasiment en flâneur à l'égal du peintre. D'une certaine manière, il y a presque une sorte de de jeu de miroir. Caillebotte est à la fois le bourgeois qui marche sur le trottoir, mais le peintre se reconnaît aussi dans la figure du travailleur. Lui-même est un peintre, un artiste peintre. La figure du travailleur qui flâne, qui rêve devant ce spectacle nouveau de la modernité.

Cette vision nous montre aussi d'autres figures, d'autres personnages. On retrouve une figure de soldat à l'arrière-plan. Cette figure de la masculinité, de la virilité, un peu exemplaire au dix-neuvième siècle. Vous avez également ce chien qui est plus important qu'on ne le pense. C'est vraiment le premier plan, c'est celui qui nous fait rentrer dans le tableau. C'est une incarnation aussi d'une forme d'innocence, du regard, de spontanéité, de vie. Le chien est l'élément dynamique qui introduit notre regard dans la composition.

Il y a cette figure de femme aussi, au centre de l'œuvre. Mais vous le voyez, dans un univers qui est essentiellement masculin, il y a qu'une figure de femme avec toutes ces figures d'hommes et qui nous rappellent à quel point aussi l'espace public au XIXe siècle est un espace essentiellement masculin, conçu pour l'homme. Les hommes ont le droit de se promener, de flâner sans but dans la ville, ce qui n'est pas le cas des femmes qui doivent se rendre d'un point à un autre, accompagnées le plus souvent.

Dans le tableau, on ne sait pas très bien si elle accompagne l'homme ou si, au contraire, elle est seule. Et les deux personnages se croisent et échangent un regard.  Voilà aussi une manière de parler de cette condition masculine à travers l'espace public, et toute l'ambiguïté que Caillebotte introduit dans cette scène : pourquoi la femme se retourne-t-elle ? Est-ce que Caillebotte est en train de regarder l'ouvrier en train de regarder la gare  ou au contraire est-ce qu'il se retourne pour parler à cette femme ?

 Il y a très souvent chez Caillebotte un début de narration, quelques détails qui introduisent à une histoire, et en même temps l'artiste ne va jamais au bout, ne nous dit jamais comment il faut comprendre, interpréter ces scènes. Il nous laisse toujours avec une forme de mystère, de non-dit, d'ambiguïté qui fait aussi toute la saveur de ses tableaux.

 

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